Genève

Genève : Hub mondial de la cyber-sécurité?

La Fondation Interpol pour un monde plus sûr, basée à Genève, a reçu début 2016 un don de 50 millions d’euros des Émirats arabes unis (EAU). Objectif: lutter contre le terrorisme et la cybercriminalité.

Les EAU talonnent les États-Unis quant au soutien financier à Interpol. Leur contribution passe surtout par cette fondation privée, avec 10 millions d’euros par an pour les cinq ans à venir, elle équivaut au sixième du budget d’Interpol couvert par les États membres.

Un cheik en blanc

Or les EAU sont à l’index: non–respect des droits humains (Human Rights Watch, 2018), permissivité face à la criminalité économique, répression féroce de l’opposition, enlèvements et torture, négation de droits syndicaux, crimes de guerre au Yémen et blanchiment de fonds. Ce qui ne les prive pas d’accueillir la 87e assemblée d’Interpol à Dubaï ce mois-ci.

Mais la Fondation Interpol c’est quoi? Une structure discrète, établie en 2013 pour accroître les moyens de l’agence en sollicitant des dons privés plafonnés à 50% des ressources de l’organisation. Dirigée par l’ancien procureur Jean Bernard Schmid, elle a chargé l’ancien juge libéral Georges Zechin, conseiller de plusieurs banques, de jeter les bases de son fonctionnement.

Dans son conseil de fondation est représenté le gratin politico–financier mondial, dont certains ont récemment défrayé la chronique: l’avionneur Olivier Dassault, le Libanais Elias Murr, ancien ministre et patron d’un grand groupe financier, le directeur de HSBC Stuart Gulliver (jusqu’en février 2018), le Britannique Keith Bristow, conseiller d’un cabinet d’intelligence économique, ou le patron de Renault-Nissan, Carlos Ghosn, qui vient d’être arrêté pour fraude…

Une priorité du secteur financier

En janvier 2018, le World Economic Forum (WEF) annonce un Centre mondial pour la cyber–sécurité à Genève: une plateforme de collaboration entre États et grandes entreprises, avec Interpol en partenaire stratégique. En mars, l’Union internationale des télécommunications (UIT) signe un accord avec Interpol pour développer des synergies dans la cyber-sécurité.

Un an plus tôt, le chef de Microsoft, Brad Smith, appelait à une « Convention de Genève numérique ». Dans une interview au Temps, il confiait: « Le cyberespace est devenu le nouveau champ de bataille mondial, dans lequel le secteur technologique est fortement impliqué. […] Une grande part du cyberespace est propriété du secteur privé.» (13.11.17), avant de rencontrer le conseiller d’État Pierre Maudet.

Les banques privées, grosses gestionnaires de fortune, veulent garantir une sécurité accrue à leurs client·e·s. Elles sont ravies que Maudet se soit fait champion d’une Genève cyber–sécuritaire, ce qui lui vaut les attentions des banquiers Yves Mirabaud et Ivan Pictet. Dans le même élan, son ami Magid Khoury, prévenu dans l’affaire de son voyage aux EAU, projette un grand centre de cyber-sécurité en bordure de l’aéroport, auquel il ne serait pas surprenant de voir collaborer l’industriel Kudelski, qui avait invité Maudet au Club de Bilderberg.

La lutte contre la corruption ou la criminalité en col blanc, dont Genève est un centre, intéresse beaucoup moins le WEF, Interpol, la Suisse, Genève et Pierre Maudet. Surprenant? Pas vraiment.

Jean Batou