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A lire : Le possible retour du fascisme

Dans son dernier livre, Ugo Palheta ne recherche pas « des hordes paradant en chemises brunes ou marchant au pas de l’oie », mais explore les processus qui pourraient donner naissance à un renouveau du phénomène fasciste.

Selon Ugo Palheta, la notion de populisme ne nous permet pas de faire de distinctions utiles, car il englobe des phénomènes d’une extraordinaire hétérogénéité. L’auteur s’affranchit donc rapidement de cette catégorie « scientifiquement inutile et politiquement confuse ». Selon lui, elle rend non seulement « les classes populaires seules responsables du retour de l’extrême droite », mais « permet à cette dernière de se dissocier du fascisme historique ».

Se référant à Robert Paxton (voir encart), Palheta poursuit la construction d’un cadre à même de penser la possibilité actuelle du fascisme « comme équivalent fonctionnel et non comme une répétition à l’identique ». Il saisit la complexité et l’autonomie du fascisme, et explore les transformations des rapports de classe et du champ politique, de l’État et de l’idéologie de ces 35 dernières années en France, conditions qui ont mené à un danger fasciste, incarné par le Front national (FN).

Parti néofasciste en gestation

Cette thèse implique néanmoins d’examiner en profondeur les caractéristiques propres du FN. Sans nier son succès électoral au sein des classes populaires, Palheta démolit la propagande voulant que le FN soit « le premier parti ouvrier de France » ou encore « l’incarnation du peuple » dans le champ politique. En fournissant des données sur la composition de l’organisation frontiste et son évolution historique, il démontre que le parti est principalement ancré dans les classes moyennes traditionnelles. Mais alors comment expliquer qu’un parti qui défend l’intérêt des élites puisse rencontrer du succès – ne serait-ce qu’électoral – dans le milieu ouvrier?

La question du racisme

À l’encontre de celles et ceux qui minimisent le racisme du projet et de l’audience du FN, Palheta place la question au centre de son analyse. La plus grande réussite du FN consiste en ce qu’il soit parvenu à imposer, au cœur de la politique française, un clivage établi sur une base ethnoraciale, profitant de la péjoration des conditions de vie.

L’auteur nous rappelle toutefois que dénoncer l’emprise du racisme sur les classes populaires – qui n’en ont d’ailleurs pas le monopole – ne revient pas à les accuser. Il s’agit bien plutôt de comprendre que cette emprise s’opère sur la base de causes matérielles comme « la précarisation, l’incertitude, l’accroissement de la ségrégation urbaine, l’affaiblissement des solidarités collectives sur les lieux de travail, etc. ».

Cinquante pages d’analyse, soutenues par des chiffres et des événements concrets, démontrent que le racisme et le nationalisme forment un fil conducteur ininterrompu depuis la création du FN.

Palheta montre aussi que les consciences, que Gramsci aurait appelées « contradictoires », ne se structurent pas de manière binaire entre « ceux d’en haut » et « ceux d’en bas », mais que « ceux d’en bas lorgnent aussi vers le bas, vers celles et ceux qui sont pointés du doigt dans la rhétorique néolibérale et présentés comme des assistés ou des fraudeurs ».

Conjurer le désastre

Dans sa conclusion, Palheta pose les bases pour une lutte antifasciste unitaire et stratégiquement efficace: écraser le fascisme « implique d’évaluer les rapports de force, de diviser l’ennemi et d’unir des forces, et de leur donner une orientation adéquate ». Après une critique sévère de l’antifascisme bourgeois, mais aussi de la logique d’une partie de la gauche consistant à opposer et substituer la visée révolutionnaire au combat antifasciste (qui ne serait qu’un dérivatif), l’auteur se tourne vers une stratégie antifasciste positive. En utilisant l’expérience du passé, il esquisse des plans d’action, sans écarter de façon moralisante la question de la violence et sans non plus réduire la dimension politique de l’antiracisme à un mouvement d’autodéfense.

Indispensable outil pour chaque antifasciste, ce livre mérite sa place à côté des grands classiques sur le sujet (voir encart).

Dimitris Daskalakis


Discussion sur la possibilité du fascisme

Ugo Palheta sera à Genève pour une discussion sur la possibilité du fascisme, organisée par Marx21 (marx21.ch). Une occasion incontournable de parler de son livre et de son actualité.

Ma 11 décembre, 20 h

Café Gavroche, Genève


 À lire 

Daniel Guérin
Fascisme et grand capital
Libertalia, 2014

Robert O. Paxton
Le Fascisme en action
Seuil, 2004

Jairus Banaji
Le fascisme en tant que mouvement de masse
contretemps.eu