Chili

Chili : La mémoire est douloureuse

Le coup d’État du 11 septembre 1973 au Chili contre le gouvernement d’Allende est venu enterrer les espoirs de millions des gens. Le film Me duele la memoria revient sur leur vécu pendant ces années sombres qui en ont conduit une partie à l’exil. Interview de Iara Heredia Lozar, qui a coréalisé le film avec Bastien Genoux.

Comme le dit le titre de votre film, la mémoire fait mal, elle est douloureuse. Pourquoi revenir alors sur ces évènements? Pourquoi faire ce film 40 ans après?

En effet, il s’agit de la mémoire d’événements tragiques, mais pas que. Elle est aussi lumineuse et nécessaire. Il s’agit de la mémoire individuelle de nos témoins, mais aussi de la mémoire collective des luttes, du mouvement ouvrier et de sa brutale répression. Au niveau collectif, un travail de mémoire, même s’il peut être douloureux, me paraît essentiel. Je partage l’idée d’une phrase que j’ai lue au Stade National de Santiago: «Un peuple sans passé est un peuple sans futur ». Comprendre ce passé c’est aussi construire l’avenir.

Revenir sur la mémoire des événements ayant eu lieu au Chili est important, car elle nous amène à penser ce pays comme ayant eu historiquement une place particulière. Le Chili a été un laboratoire à double titre d’une «stratégie de choc» menée par la suite dans d’autres pays du monde: d’un côté la déstabilisation qu’a subie le pays à l’aide d’outils financiers et économiques pendant le gouvernement de l’Unité Populaire – dans le but d’empêcher cette expérience de se développer – et de l’autre par la mise en place des politiques néo–libérales qui ont suivi le coup d’État.

Cependant, ça a aussi été une expérience sociale, économique et politique d’autodétermination et de lutte pour la justice sociale.

En ce qui concerne la Suisse, ce film permet de rappeler la solidarité internationale qui s’est exprimée par des actions de dénonciation de la dictature et de l’impérialisme ainsi que par le mouvement de désobéissance civile Action places gratuites (mouvement ayant permis l’accueil de près de 2000 personnes).

Comment a-t-on accueilli ces gens en Suisse? Comment tes témoins ont-ils·elles vécu l’accueil, alors que le gouvernement suisse ne voulait pas d’eux·elles?

Après deux décennies d’accueil de réfugié·e·s Hongrois (quelque 14 000) et Tchécoslovaques (plus de 13 000) fuyant les régimes communistes de l’Est, l’épisode des réfugié·e·s chilien·ne·s – le gouvernement suisse ne proposait d’en accueillir que 200 – marque un tournant fondamental dans la politique d’asile suisse. Ils·elles sont qualifiés de «faux réfugiés» par les autorités pour tenter de restreindre leur accueil. Cet épisode souligne que, en pleine guerre froide, la Suisse n’était pas neutre.

Pour certain·e·s des réfugié·e·s de cette époque, c’est difficile de comprendre ce rejet, le racisme ordinaire et d’État, l’interdiction de faire de la politique, les difficultés de trouver un logement, d’accéder à des études ou simplement de retrouver un travail en lien avec leur formation. C’est d’autant plus choquant de la part d’un pays riche, sans guerre ni crise économique, vis-à-vis de personnes ayant dû fuir un contexte aussi violent.

Cela nous renvoie à la loi sur l’asile actuelle, réduite à pratiquement rien, aux expulsions et aux renvois de familles, de personnes malades ou fragilisées. Je pense d’ailleurs que la situation est dramatique et s’est largement péjorée.

Les arpilleras jouent un rôle important dans votre film. Peux-tu nous parler de ces créations et du rôle qu’elles ont joué?

Les arpilleras sont des tableaux cousus décrivant la vie quotidienne au Chili sous la dictature de Pinochet. Après le coup d’État, dans une situation de forte insécurité économique, les femmes des quartiers populaires, dont les maris avaient perdu leur emploi, étaient disparus ou assassinés, se sont mises à confectionner les arpilleras qu’elles vendaient ensuite au Vicariat de la solidarité, leur permettant ainsi de pouvoir gagner un revenu. Récupérant des chutes de tissus et des bouts de chiffons dans les usines, elles s’en servaient pour raconter les difficultés du quotidien, leurs luttes et résistances. Ce travail est subversif par les thématiques abordées mais aussi parce que la couture, qui fait partie de l’univers féminin exercé dans un cadre professionnel ou privé, est alors détournée et se transforme en acte politique de dénonciation. Le gouvernement finit d’ailleurs par interdire la possession et l’exposition de celles-ci.

C’était important pour moi de donner la parole aux femmes, notamment à travers ce travail extraordinaire par sa valeur symbolique, subversive et de témoignage.

Propos recueillis par Dimitris Daskalakis

Projections spéciales au CityClub Pully Sa 9 mars 18 h 30
Di 10 mars 14 h