Grande pompe pour Pompeo

La visite de trois jours du secrétaire d’État américain Mike Pompeo n’est pas passée inaperçue. Certains, comme Darius Rochebin de la RTS, n’en reviennent toujours pas de s’être entretenus avec « un des hommes les plus puissants du monde ». Après l’invitation d’Ueli Maurer par Trump, les deux « démocraties sœurs » resserrent leur collaboration.

Mike Pompeo et Ignazio Cassis. Photo: Ron Przysucha

Mike Pompeo et Ignazio Cassis. Photo: Ron Przysucha

Que ce soit à Washington, lors de la visite du président de la Confédération, dont la méconnaissance de l’anglais amusa le public américain et figure désormais en toutes lettres dans le Livre d’or de la Maison Blanche, ou lors du passage de Pompeo en Suisse, deux préoccupations dominèrent: la politique des bons offices de la Suisse dans le cas de l’Iran et les relations commerciales entre les deux pays.

C’est en quelque sorte un précipité des bons offices que l’on a pu voir. Car si cette politique se fait généralement au nom de la promotion de la paix et de la démocratie, il n’est pas interdit d’en tirer quelques profits au passage. Fin décembre 2018, le Conseil fédéral présentait un rapport sur les bons offices. Il y rappelait que: « La Suisse utilise les instruments des bons offices dans le traitement des crises et des conflits. Ils sont le reflet de sa tradition et de sa volonté d’aider les personnes en détresse et de promouvoir la paix dans le monde. La Suisse jouit sur son territoire et à l’étranger d’une réputation de médiatrice digne de confiance. » Tout en rappelant en conclusion que: « Les bons offices de la Suisse apportent une réelle valeur ajoutée. Ils servent l’image de la Suisse. Ses activités de facilitation de dialogue et de médiation lui permettent de se profiler au niveau international, ce qui lui vaut de la bienveillance et lui ouvre des portes, également dans d’autres domaines de la politique extérieure. » C’est, bien sûr, surtout de politique commerciale extérieure qu’il s’agit.

Baffe et main tendue

Trois instruments peuvent être mis au service de la politique des bons offices: l’accueil de conférences ou de négociations de paix, la facilitation de dialogue et la médiation et enfin le mandat de puissance protectrice, où la Suisse assure les tâches diplomatiques d’un des États en conflit. Le cas le plus connu fut celui de Cuba, où l’ambassade suisse accueillit de 1961 à 2015, une « section des intérêts américains » formée de fonctionnaires US. En Iran, depuis la révolution islamique et la crise des otages (1979), la Suisse prend directement en charge la représentation des intérêts américains.

Mike Pompeo, qui fait partie des « faucons », n’a jamais fait mystère de ses conceptions en matière de refoulement de l’influence de l’Iran dans la région moyenne-orientale. Il veut obtenir l’effondrement du régime des mollahs par un blocus du pays. Cette ligne dure est actuellement utilisée par Trump, dont on connaît la manière de faire bouger les lignes: une baffe, une main tendue, deux baffes, une main tendue, trois baffes, etc. Avec tous les risques de dérapage que cela implique.

Pompeo est le plus souvent du côté de la gifle, la Suisse du côté de la main tendue, mais la stratégie est américaine. Ignazio Cassis a bien essayé, timidement, de dire que les sanctions appliquées à l’Iran pénalisaient surtout sa population, ce qui est vrai, Pompeo est resté de marbre. Il faut affamer l’Iran pour que le régime soit placé devant le choix impossible du beurre ou des canons. À moins que l’Iran ne revienne à un comportement « normal » selon le secrétaire d’État, autrement dit qu’il se soumette à la volonté impérialiste américaine.

Bons comptes et bons offices

Cette collaboration helvétique facilite les choses sur un autre plan. Les liens commerciaux avec les États-Unis sont anciens et importants. La Suisse, malgré sa taille, est le septième investisseur aux USA et ceux-ci sont le deuxième partenaire commercial du capitalisme helvétique. 500 entreprises suisses sont établies aux États-Unis et le commerce bilatéral (biens et services) s’élève à près de 120 milliards de francs. L’idée d’un accord de libre-échange entre les deux pays – après l’échec d’une première tentative en 2006, dû à l’opposition des paysans helvétiques – refait donc surface.

Mais les dirigeants de ces deux pays ne sont pas que d’épouvantables matérialistes préoccupés par le seul bruit de leur tiroir-caisse. Ce sont aussi des valeurs politiques qui les rassemblent. Comme l’a expliqué le chrétien, conservateur et républicain (dans l’ordre, précise-t-il) Mike Pompeo, la Suisse est un « partenaire parfait » partageant une « vision semblable de la manière dont le monde devrait fonctionner ». Plus qu’inquiétant, non?

Daniel Süri