Livres en lutte pour l'été

Dawn of the Dead, George Romero, 1978

Métromarxisme: un conte marxiste de la ville

Andy Merrifield offre une introduction aux analyses marxistes de la ville, dans leur multiplicité et leurs divergences. Loin de prendre la forme plate d’un manuel, le livre propose une discussion nourrie et rêveuse entre pères du marxisme, chez qui il expose la trace d’une analyse de l’urbain, puis présente des figures de la critique marxiste de l’urbanisme (Harvey, Lefebvre), et enfin l’œuvre de marxistes qui se sont chacun confrontés à la ville (Benjamin, Debord, Castells, Berman).

L’espace urbain cristallise ainsi des enjeux majeurs de la critique marxiste (accumulation du capital, reproduction de la force de travail, fétichisme de la marchandise, exploitation), ce qui permet à l’auteur d’exposer finement les débats centraux du marxisme. AE

Andy Merrifield, Métromarxisme: un conte marxiste de la ville, Genève, Entremonde, 2019.

Recomposer le monde

Dans cette BD, l’auteur raconte son expérience dans la ZAD de Notre-Dame des Landes, en particulier au moment du violent démantèlement par la police d’un grand nombre d’habitations après l’abandon du projet en avril 2018. On y découvre le combat contre l’aéroport, mais plus largement le projet de société qui est défendu là-bas, entre gestion collective du territoire, entraide et respect de la faune et de la flore.

Au-delà de l’histoire spécifique de NDDL, cet ouvrage nous présente de façon concrète ce qu’est l’écologie radicale et questionne le rapport que le Nord global entretient avec la nature.

Les dessins sont joliment réalisés à l’aquarelle, mettant particulièrement en valeur la douceur et la beauté du bocage. JS

Alessandro Pignocchi, La Recomposition des mondes, Paris, Seuil, 2019.

Make Rojava Green Again

Ce livre présente la fondation de la Commune Internationaliste du Rojava, cette région kurde du nord de la Syrie, symbole de la résistance contre Daech et en pleine reconstruction.

Cette introduction au projet révolutionnaire anticapitaliste de la campagne Make Rojava Green Again est en partie inspirée des propositions de Murray Bookchin sur l’écologie sociale et le municipalisme libertaire et des théories d’Abdullah Öcalan. Les défis et obstacles rencontrés par la région y sont décrits (embargo économique, attaques de la Turquie, dépendance à l’exploitation du pétrole…), mais aussi les espoirs et premières victoires de la révolution (campagne de reforestation, développement de pépinières, autogestion démocratique…). Le tout est ponctué de quelques très belles illustrations. VG

Communauté Internationaliste du Rojava (avant-propos de Debbie Bookchin), Make Rojava Green Again, Lyon, Atelier de Création Libertaire, 2019.

Comprendre le Hezbollah

Au Moyen-Orient, le Hezbollah libanais apparaît désormais comme un acteur politique et militaire incontournable. Sa physionomie s’est adaptée au système dominant et accompagne désormais activement les politiques néolibérales, au risque de fortes contradictions avec sa base sociale d’origine.

Se refusant à réduire le Hezbollah à sa nature religieuse ou à céder à un orientalisme hasardeux, l’auteur resitue son développement dans le cadre des transformations sociales et économiques du Liban. Il nous éclaire sur les relations du mouvement islamique avec la société civile libanaise – et plus particulièrement son opposition aux syndicats et aux mouvements sociaux. Enfin, il examine le développement de son appareil militaire et sa politique étrangère, notamment à l’égard des printemps arabes et du soulèvement populaire syrien. PR

Joseph Daher, Hezbollah, un fondamentalisme religieux à l’épreuve du néolibéralisme, Paris, Syllepse, 2019.

Les Zombies, monstres du capitalisme

Mais qui a placé les zombies sur la carte de la culture mondiale? Aujourd’hui, impossible de les rater, ils nous ont littéralement envahis: films, séries, BD, jeux vidéo…

Dans son premier livre, M. Borzakian porte sur les zombies son œil de géographe pour questionner le modèle capitaliste dominant, ses limites et les angoisses qu’il génère. L’auteur rappelle d’abord les évolutions du genre, des prémices orientalistes aux variations du réalisateur culte George Romero, jusqu’aux séries et blockbusters hollywoodiens.

Ancien être humain, le zombie n’est pas un monstre comme les autres: à la fois semblable et autre. L’auteur interroge donc cette «altérité» et les peurs qui l’accompagnent. Si le zombie n’est souvent qu’un étranger cannibale à exterminer pour sauver notre «chez nous», les barrières sont parfois floues ; après tout, les zombies ont été humains, peut-être le sont-ils toujours?

Ne dit-on pas que l’être humain moderne, aliéné par le travail et replié sur lui-même, absorbé par des flux d’informations et d’images continues agit en zombie? Dans le fond, les survivant·e·s qui se calfeutrent dans les combles d’un supermarché pour résister aux attaques des morts-vivants ne font-elleux pas que réinventer leur rapport au monde marchand et à la notion de territoire? À travers l’image des militaires, des barricades, des ruines, des réseaux de transports ou des contrastes entre centres urbains invivables et campagnes à moitié vide mais dangereuses, M. Borzakian déroule une analyse pertinente et réussit le pari de rendre à un genre parfois déconsidéré l’intérêt et la complexité qu’il mérite. Un livre qui ravira autant les néophytes que les fans. PS

Manouk Borzakian, Géographie zombie, les ruines du capitalisme, Levallois-Perret, PlayList Society, 2019.

Pogoter sous la crise

Les premières années du punk sont souvent perçues comme une période d’expérimentation et de subversion intense. En France, en Suisse et en Allemagne fédérale comme de l’autre côté du mur, en République démocratique d’Allemagne, le mouvement punk émerge dans des sociétés bouleversées par la crise économique, politique et sociale. À la fois marginal et en prise avec son époque, le punk se développe comme un révélateur de nombreux enjeux sociaux: des squats aux manifestations ; des fanzines aux vêtements ; de la précarisation aux normes sociales.

Ce mouvement a toujours été animé par une volonté de transgression, expérimentée comme un plaisir: le fun. Mais il a aussi souvent répondu aux rares appels des mégaphones des mobilisations de cette fin des années critiques. Comprendre la conjoncture historique qui a produit le punk – ou que le punk a produit – nous aide alors à mieux comprendre notre époque et ses origines. Les processus qui ont menés tant à l’hégémonie mondiale du néolibéralisme qu’à l’effondrement du système soviétique furent initiés dans ce moment de rupture, quand le désir d’expression personnelle et d’indépendance – aussi bien au niveau individuel ou collectif – a rendu insoutenables les répressions caractéristiques de l’ordre social d’après-guerre dans de si nombreux pays. JD

Pierre Raboud, Fun et mégaphones, L’émergence du punk en France, RFA et RDA (1977–1982), Paris, Riveneuve, 2019.

Contempler les ruines contemporaines

Une ruine nouvelle s’offre depuis une trentaine d’années, monumentale à sa manière et proliférante: villes détruites, murs en lambeaux, usines abandonnées qui ne cessent d’appeler le regard. Étrangement nous voulons toujours les voir, jamais repus de leur fouillis de natures mortes ou de leur austérité massive, jamais lassés malgré la répétition qui les constitue pourtant aujourd’hui en lieu commun. Il faut le reconnaître: la ruine est un objet d’amour. Elle nous tient à la merci de ses images qui, toujours plus vues et connues, ne perdent en rien de leur pouvoir d’attraction. Cette avidité qui fait que la ruine est partout et que s’en multiplient les images dans les galeries et sur les écrans, réelles ou fictionnelles, contient une dimension d’énigme. Quel est cet objet qui, si pauvre et sale et revu soit-il, nous tient ainsi l’œil en haleine? Quel est ce désir de ruine? DS

Diane Scott, Ruine. Invention d’un objet critique, Paris, Amsterdam, 2019.

Voir Disney d’un œil marxiste

Les approches marxistes de l’animation restent peu connues. Dans cet entretien avec Sophie Coudray, Esther Leslie revient sur l’itinéraire du dessin d’animation tant du côté des avant-gardes esthétiques révolutionnaires que celui des industries culturelles. Elle met au jour l’ambivalence de genre. Utopie pour les un·e·s, l’animation offre (ou a offert par le passé) un territoire d’expérimentation formelle inédit. Pour les autres, l’animation constitue un domaine privilégié pour la rationalisation du travail cinématographique, dès l’instant qu’il est mis au service d’une industrie particulièrement coûteuse et prospère. Dans ce chassé-croisé entre avant-garde et capital, on peut dire que le second a pris le pas sur le premier, et Leslie donne de nombreux détails sur le conformisme de plus en plus évident des productions Disney. Par là, elle restitue aussi tout le potentiel subversif qui a été celui du cinéma d’animation, l’élan utopique qu’il a fallu effacer pour en faire un objet de consommation de masse.

Esther Leslie, «Dessin animé et avant-garde», entretien sur le site de la revue Periode: revueperiode.net, 2019.

Asperger en couleurs

Dans cette première bande dessinée aux couleurs électriques, Emilie Gleason déroule le quotidien de Ted. Un quotidien millimétré, rythmé par une multitude de petits rituels réconfortants entre le métro, le boulot et le dodo. Mais une catastrophe se produit: le métro est annulé, troublant les habitudes chères au personnage. En effet, Ted est autiste Asperger et sa routine est essentielle. Le trait urgent et naïf de l’autrice donne à la BD une touche survoltée, tout en lui permettant d’aborder avec tendresse les singularités de Ted, inspiré de son frère. Ainsi, les personnages aimés sont colorisés, à l’inverse des inconnus, traduisant la façon dont se construisent les émotions chez son personnage. Par son traitement de la relation de soin et de la médication, Gleason s’empare également de la question du validisme, proposant un regard critique acéré sur une thématique rarement abordée. ML

Emilie Gleason, Ted, drôle de coco, Genève, Atrabile, 2018.