2e pilier: sortir de l'ornière ou s'y enfoncer?

Dans la torpeur de l’été, les directions des Unions patronale et syndicale se sont mises d’accord sur un modèle de réforme du 2e pilier. Baisse brutale du taux de conversion, forte augmentation de la capitalisation: un véritable pas dans la mauvaise direction.

Accord-2e-pilier

 À l’unanimité, le comité de l’Union syndicale suisse « approuve ce modèle de réforme ». Work (journal alémanique d’Unia) va même jusqu’à écrire qu’il s’agit là d’un résultat de la mobilisation du 14 juin! Un examen attentif du « modèle » montre pourtant qu’il s’éloigne des intérêts des salarié·e·s.

Il faut d’abord écarter un argument trompeur: ce modèle présenterait un avantage car il renoncerait à élever l’âge de la retraite des femmes. Il faut faire attention, car il y a en l’occurrence une véritable répartition des tâches entre AVS 21 et réforme de la loi sur la prévoyance professionnelle (LPP). C’est la loi sur l’AVS qui donne le ton, qui fixe l’âge légal (ou l’âge de référence selon le concept de la droite) et c’est la prévoyance professionnelle (2e pilier) qui s’adapte. La mécanique est précise et le projet AVS 21 contient une modification de l’article 13 de la LPP prévoyant que « l’âge de référence dans la prévoyance professionnelle correspond à l’âge de référence fixé à l’article 21 de la loi sur l’AVS ».

Baisse brutale du taux de conversion

Selon l’Union patronale, « la mesure phare du compromis est incontestablement l’abaissement de 6,8 à 6% en une seule étape du taux de conversion minimal dès l’entrée en vigueur de la révision ». Le coup est violent si on se rappelle qu’une baisse plus modeste a été rejetée par le peuple en 2010 et qu’une baisse échelonnée (0,2 point par année) est également tombée avec PV 2020.

Pour compenser partiellement cette baisse, un supplément de rente est introduit pour les personnes de plus de 50 ans au moment de l’entrée en vigueur de la révision. L’Union syndicale met en avant le financement solidaire de ce supplément (prélèvement de 0,5% sur les salaires). Le modèle introduit toutefois un plafonnement de la cotisation, ce qui contredit le principe de solidarité. Les très hauts revenus ne cotiseront que sur une partie de leurs salaires (sur 1/3 pour un revenu annuel de 2,5 millions). C’est une brèche ouverte dans le financement solidaire du système de la répartition (AVS).

Une capitalisation folle

Le supplément de rente ne concerne que la génération transitoire. Pour maintenir plus ou moins le niveau des rentes, la réforme propose une augmentation massive de la capitalisation, en divisant par deux la déduction de coordination (ce qui augmente le salaire assuré, donc la cotisation) et en augmentant les bonifications de vieillesse pour les 25–34 ans. Cette catégorie sera donc particulièrement touchée, puisqu’elle devra faire face à une double augmentation de cotisation.

La capitalisation a pourtant déjà atteint un niveau exorbitant (1000 milliards de francs), entraînant des frais de gestion excessifs (6 milliards par année!). Le 2e pilier est devenu un puits sans fond et il n’est pas raisonnable d’obliger les travailleurs·euses à y jeter une partie encore plus grande de leurs salaires. À moins de partager l’avis de M. Olivier Ferrari, de Coninco finance: « Si nous croyons au capitalisme, alors on peut croire au régime de capitalisation ».

Une autre voie: renforcer l’AVS

Un franc de cotisation dans l’AVS produit une meilleure rente qu’un franc de cotisation dans le 2e pilier. C’est dans cette direction qu’il faut aller. On doit admettre une baisse modérée du taux de conversion liée à l’augmentation de l’espérance de vie (on divise le capital par les années de rentes versées). Par contre, avec le rendement que les caisses ont réalisé en 2017 (et qu’elles peuvent refaire dans certaines des années à venir), il n’est pas utile d’accepter la baisse massive demandée par les assurances et les institutions de prévoyance.

Il s’agit également d’échelonner cette baisse du taux de conversion (par ex 0,1 point chaque deux ans pendant 8 ans) de manière à pouvoir la compenser par une hausse des rentes AVS en adaptant la formule des rentes (comme AVS 21 le prévoit pour une partie des femmes) et en introduisant la 13e rente pour toutes et tous (plus question de temporiser avec le lancement de cette initiative populaire).

Il s’agit là de réponses immédiates et partielles visant à faire face à l’incapacité du 2e pilier à garantir les rentes promises. À plus long terme, c’est une intégration du 2e pilier dans l’AVS qu’il faudra avoir en vue.

Pierre-André Charrière