Un patronat conscient de ses intérêts

La crise sanitaire révèle les rapports de force habituellement dissimulés par le fonctionnement « normal » de l’économie. C’est l’occasion de nous interroger sur le rôle des associations patronales, qui veillent à ce que la société fonctionne au service du capital.

Journée de l'économie 2019, Economiesuisse
«Journée de l’économie», Bâle, 2019

Cette année, la faîtière patronale Economiesuisse avait prévu de célébrer en grande pompe son 150e anniversaire ; un ouvrage historique, des expositions et des soirées étaient au programme. Le coronavirus a eu raison de ces mondanités, empêchant de célébrer la continuité d’une organisation fondée en 1870 pour défendre les intérêts des industriel·le·s et des commerçant·e·s. La pandémie n’a cependant pas stoppé le lobbying de l’association. Faute de cocktails et de célébrations publiques, l’association s’est concentrée sur son cœur de métier : influencer la politique en coulisses. Comme le notait l’un de ses secrétaires en 1963 : « Notre influence à Berne est plus forte lorsque nous restons dans l’ombre et que l’on ne parle pas trop de nous. »

Pas d’économie sans société

Si Economiesuisse veut se faire entendre, c’est parce que l’action de l’État conditionne toute activité économique. Il en va ainsi des services publics, dont l’actualité a brutalement rappelé l’importance. Qu’on pense aux hôpitaux qui nous maintiennent en vie ou aux écoles qui forment les futur·e·s salarié·e·s et permettent aux parents d’aller travailler. Idem d’autres activités que l’on prend aujourd’hui comme allant de soi, comme la police et les tribunaux qui garantissent la propriété privée et les règles qui encadrent le travail salarié. 

Qu’un virus perturbe le fonctionnement habituel de nos sociétés et des commerçant·e·s refusent de payer leur loyer, des patrons redécouvrent les avantages de l’État social en faisant appel au chômage partiel et les fanatiques du marché en appellent soudain aux aides publiques. 

Instrumentaliser l’État au service des profits privés

Orienter l’action de l’État au service de leurs intérêts demeure le but essentiel d’Economiesuisse et consorts, en suivant le vieil adage qui veut qu’en régime capitaliste, on socialise les pertes et on privatise les profits. Sans les aides de l’État, l’industrie horlogère suisse aurait été rayée de la carte pendant l’entre-deux-guerres et l’UBS aurait disparu en 2008. Sans l’armée pour réprimer les grèves au début du 20e siècle et protéger les patrons, les législations sur le travail auraient été plus favorables aux salarié·e·s. Alors que les milieux patronaux n’ont de cesse d’en appeler au retour à une activité économique « normale », il importe de dénoncer les contingences et les injustices qui sous-tendent cette normalité.

Il n’y a aucune fatalité à ce que la démocratie s’arrête aux portes des usines ou à ce que la santé et le logement soient considérés comme des business. L’incapacité des syndicats à stopper le travail sur les chantiers pendant ces derniers mois a montré que les règles du jeu économique font l’objet de bras de fer sociaux, où c’est la force des un·e·s et des autres qui détermine la solution qui s’impose. Economiesuisse et consorts le savent et veillent à leurs intérêts. Les salarié·e·s feraient bien de s’en rappeler. 

Pierre Eichenberger