Travailleuses·eurs agricoles en Suisse
L’exploitation cachée
Les conditions de travail dans l’agriculture restent souvent ignorées, alors qu’il s’agit d’une activité essentielle pour le bien-être de la population. Cette activité est réalisée par un pourcentage toujours plus élevé de salarié·e·s migrant·e·s, souvent saisonniers·ères.

La recherche intitulée Travailleurs et travailleuses agricoles à la peine, de la Plateforme pour une agriculture socialement durable, tombe à pic. Les études sur l’agriculture et les conditions de travail des employé·e·s en Suisse sont en effet rares. Nous connaissons mieux la situation qui prévaut dans des régions du sud de l’Italie ou de l’Espagne, où les fruits et légumes que nous consommons sont cultivés dans des conditions de semi-esclavage.
Cette recherche comble ce déséquilibre, en mettant en lumière plusieurs aspects ignorés jusqu’à aujourd’hui du contexte suisse, comme les disparités importantes des conditions de travail des salarié·e·s agricoles selon les cantons. Si cette étude se concentre principalement sur la période 2000–2018 et sur 9 cantons, ses conclusions s’appliquent à l’ensemble du pays.
Travail effréné
En moins de 20 ans, le secteur agricole, dans les 9 cantons étudiés, a perdu plus de 30 000 personnes actives (soit l’équivalent de la ville de Sion). En l’espace d’un siècle, l’ensemble des personnes actives dans l’agriculture suisse est passé de 25 % de la population active à moins de 3 %. La répartition entre hommes et femmes y est respectivement de 63,5 % et 36,5 %.
Quant au salaire, il atteint en moyenne 14 francs bruts de l’heure. Le salaire moyen dans le domaine agricole représente la moitié du revenu médian des secteurs secondaire et tertiaire.
Le temps de travail est également particulièrement élevé, puisque les salarié·e·s agricoles triment en moyenne 53 heures par semaine. Dans certains cantons, le contrat-type de travail permet de travailler jusqu’à 66 h. À Genève, il est de 45 h. Les travailleurs·euses peuvent être tenu·e·s, « en cas de nécessité », d’effectuer des heures en plus à la demande de l’employeur·euse et ce sans demande d’autorisation ni limite.
Grands distributeurs, grands profiteurs
La main-d’œuvre faisant partie de la famille de l’exploitant·e connaît également un déclin. Le secteur agricole délaisse la structure d’exploitation familiale vers une agriculture de type industriel, recourant à des travailleurs·euses externes à la famille. En Suisse, trois exploitations agricoles disparaissent chaque jour depuis 2000, soit près de 30 %, principalement à cause de la politique de libre-échange agricole pratiquée par les autorités fédérales. On assiste donc à un changement important du type d’exploitation : les exploitations de moins de 20 hectares ont toutes diminué leur importance sur l’échiquier agricole.
La paysannerie suisse est fortement subventionnée et surendettée. Les collectivités publiques jouent un rôle fondamental dans le soutien de l’agriculture en Suisse. La Suisse est le pays qui subventionne le plus fortement son agriculture en comparaison des États membres de l’UE. Mais si nous regardons plus en détail cette subvention, nous constatons que seulement la moitié des 3,6 milliards (2018) profite réellement aux acteurs et actrices de la paysannerie, l’autre moitié étant accaparée par les grandes chaînes de transformation et de distribution. La paysannerie suisse souffre d’un endettement chronique qui ne cesse de s’aggraver.
Sur chaque franc dépensé pour les produits agricoles chez les grands distributeurs, 32 centimes seulement reviennent aux productrices et producteurs. Les acteurs de la grande distribution jouent un rôle central dans la redistribution des richesses issues de la production agricole suisse. Coop et Migros représentent à eux deux près de 50 % du marché du détail des denrées alimentaires, avec de pics à presque 80 % pour certains produits. L’écrasement des prix dans la grande distribution implique une diminution des revenus des agriculteurs et agricultrices, puis par ricochet, de ceux des travailleurs·euses agricoles qui se trouvent en bout de chaîne. En dernier ressort, ce sont donc bien les salarié·e·s agricoles qui font les frais de la politique des grandes enseignes.
Une amélioration nécessaire des conditions de travail
Si nous voulons une agriculture écologique et sociale, avec des salaires dignes et corrects pour les travailleuses·eurs et les petit·e·s producteurs·trices, les modes de production, distribution et consommation doivent changer radicalement. Il est impératif de s’attaquer aux privilèges de grands centres de distribution (notamment, mais pas seulement, la Coop et la Migros) et des grands propriétaires. Malgré la concentration parcellaire, de nouvelles coopératives agricoles sont en train de voir le jour et de jeunes paysan·ne·s demandent l’accès à la terre. Aujourd’hui plus que jamais, la gauche radicale doit s’emparer de la question paysanne et tisser des liens avec ce milieu pour une agriculture au service des besoins des classes populaires.
Philippe Sauvin Membre de la Plateforme pour une agriculture socialement durable