En finir avec l’Hôpital SA

Le Covid-19 passe au révélateur les carences structurelles du secteur hospitalier. Les logiques conjointes de la concurrence et du marché contraignent l’hôpital à être rentable même en période de crise sanitaire.

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« Sans nous, rien ne va », manifestation nationale du personnel de la santé, 31 octobre 2020

Les images, inédites et inimaginables, se succèdent : les HUG débordés, le CHUV qui transfère des patients en Suisse alémanique, des appels à l’armée, à la protection civile et à des volontaires. Le système hospitalier craque de partout, sous les yeux ahuris de celles et ceux qui croient que la Suisse a « l’un des meilleurs de système de santé du monde ».

Comment en est-on arrivé là ?

Depuis 2012, les hôpitaux suisses sont en concurrence sur le « marché de la prestation hospitalière ». Le système de remboursement par cas (dit DRG, les prestataires sont financés selon le cas du patient) et la possibilité pour les cliniques privées de prendre en charge des patients de l’assurance de base ont profondément modifié le paysage hospitalier, provoquant notamment des suppressions de services (urgences, maternités) voire d’hôpitaux régionaux. La pression sur les coûts est renforcée et l’austérité s’impose dans les établissements d’intérêt public. Chaque hôpital publie un bilan financier et doit dégager un bénéfice, garant de sa survie. Dès lors, les sous-dotations sont la règle. Tous les métiers liés à la santé sont soumis à des conditions de travail de plus en plus insupportables.

L’austérité a tué

Durant la première vague, preuve a été faite que le système de santé n’était pas opérationnel, malgré les fanfaronnades du ministre Berset. « Nous sommes très bien préparés » affirmait-il le 22 janvier 2020 dans la Tribune de Genève. Le Matin Dimanche du 13 avril relevait qu’il manquait un outil aussi essentiel que des masques de protection dans pratiquement tous les cantons (plus de 650 000 à l’échelle nationale), raison pour laquelle l’OFSP avait décrété l’inutilité dudit masque… À cela s’ajoutent les manquements dans le traçage, la suppression des droits des salarié·e·s dans les hôpitaux (suppression de la limitation hebdomadaire du temps de travail, des vacances, réquisitions de personnels, plannings à la semaine, etc.) pour faire face à la crise.

La suppression des opérations électives, décidée par le Conseil fédéral, a causé de lourdes pertes financières pour les hôpitaux, qui se sont, depuis, lancés dans une opération de rattrapage financier à large échelle : replanifier l’électif qui avait été suspendu en utiliser les capacités des équipes et des blocs opératoires au maximum.

Parallèlement, une bataille politique s’est engagée pour un financement compensatoire par les cantons et les assurances. Dans ce contexte, la préparation de la deuxième vague n’était pas la priorité pour des directions aux yeux rivés sur leurs résultats financiers. Le directeur du CHUV indiquait : « Si nous devions faire face à une seconde vague aussi forte que la première, ce que je ne crois pas, nous devrons sans doute diminuer certaines activités et prendre à nouveau des mesures en termes d’organisation, mais ces dernières seront sectorielles et ne concerneront pas l’ensemble des collaborateurs. Nous essaierons aussi de ne pas impacter le bloc opératoire » (Le Temps, 17.10.2020).

La réalité sanitaire a fait exploser cet objectif. Pourtant, toujours mus par la volonté d’engranger des ressources, certains hôpitaux en Suisse continuent les opérations électives alors que d’autres débordent de patient·e·s. Le fédéralisme n’y est pour (presque) rien : c’est la logique de l’hôpital-entreprise qui est responsable de ce désastre.

Changer de système

Cette crise démontre que les hôpitaux ne doivent pas fonctionner comme des entreprises. Pour changer de système, des propositions immédiates et à moyen terme sont sur la table :

  • Suspension immédiate des plans d’Alain Berset visant une réduction des coûts de la santé par une réforme du remboursement des prestations hospitalières (plan de janvier 2020) et à la limitation des coûts globaux de la santé (plan d’août 2020).
  • Pour les exercices 2020 et 2021, garanties de déficits des hôpitaux par les cantons et de la Confédération (proposition de Pierre-Yves Maillard).
  • Participation des assurances maladies au financement des surcoûts engendrés par la crise sanitaire grâce à leurs substantielles réserves (solidaritéS nº 376).
  • Arrêt des plans d’économies dans les hôpitaux ayant subi des pertes liées au Covid-19.
  • Développement et mise en place de plans d’investissements cantonaux (et fédéral) pour les hôpitaux d’intérêt public.
  • À moyen terme, préparation d’une initiative fédérale unitaire et large pour sortir du financement hospitalier par cas (DRG).

Ces propositions, mettant pied dans la du système de financement, doivent viser un objectif plus lointain : l’abolition de la logique du marché dans les soins. Celles et ceux qui considèrent les patient·e·s comme des sources de profits doivent être expulsé·e·s du système de santé.

David Gygax