Le monde du jeux vidéo, terreau fertile pour le capitalisme

L’industrie du jeux vidéo et l’une des seules qui sort gagnante de la crise sanitaire. Elle sait très bien comment gérer son public par l’excitation collective, la hype et ses passionné·e·s.

V assis dans un métro attaqué par l'Arasaka
L’éditeur de Cyberpunk 2077 fait taire les voix dissidentes.

Le 12 décembre 2019, j’ai succombé à la hype. Comme près de 50 millions d’autres fans de jeux vidéo, la promesse d’annonces exclusives et d’un gala prestigieux dédié à ma passion ont eu raison de mon bon sens et j’ai donc sacrifié une bonne partie de mon sommeil (un soir de semaine forcément) pour regarder les Game Awards. Cette cérémonie se voit comme les Oscars du jeu vidéo. C’est un mix entre une publicité géante pour les futures sorties et une célébration des jeux sortis durant l’année écoulée. Des statuettes dorées sont attribuées dans de nombreuses catégories telles que « meilleure bande-son », « meilleure direction artistique » et surtout le sésame ultime : le « Game of the Year ».

La fête est faste mais c’est certainement quand Grimes – ancienne étoile de la pop alternative et maintenant social-traître à plein temps – prend la scène pour faire une interprétation futuristique d’un titre exclusif composé pour le futur jeu Cyberpunk 2077 que la déprime s’installe en moi. En même temps que les gros plans de caméra sur son compagnon Elon Musk paniqué, apparemment plus gêné par cette situation que par ses pratiques anti-­syndicales et impérialistes, je me rends compte que la hype m’a eu. Je réalise ainsi à quatre heures du matin que le lendemain au travail ne sera dur pour aucune raison valable.

En effet, la hype n’est satisfaisante que quand elle réalise ses promesses les plus folles, sinon elle n’est qu’un soufflé qui retombe. Et effectivement, en terme d’annonces de jeu vidéo, je suis resté sur ma faim : le clou du spectacle étant l’annonce d’un jeu Fast & Furious – sorti il y a quelques mois dans l’indifférence générale – présenté par les acteurs·trices des films dont les yeux criaient de les sortir de là. Gurl, same mais moi j’étais pas payé. Seuls moments incroyables : les quatre récompenses raflées par les développeurs du jeu indépendant Disco Elysium et qui, lors de la remise de la dernière, ont remercié « Marx et Engels pour l’éducation politique ».

Marx et la hype

La hype, phénomène qui se co-construit entre des cycles très intenses de marketing et un engouement de groupe, est un élément indissociable de la culture en ligne. Bien qu’elle ne soit pas un mal en soi, elle sert à occulter malheureusement la triste réalité de l’industrie du jeu vidéo. Milieu traversé comme notre société entière par le sexisme, le racisme et l’homophobie, il est d’autant plus touché par le manque de diversité à tous les niveaux, en particulier les plus hauts.

Prenons par exemple le cas d’Ubisoft, l’un des plus grands développeurs de jeu vidéo au monde (Assassin’s Creed, Just Dance, etc.) qui a implosé cette année après de nombreuses révélations de comportements horribles de la hiérarchie et d’une culture d’entreprise toxique. On notera par exemple que le responsable de l’un des studios a… étranglé une femme. De même, il n’est pas surprenant d’apprendre que les conditions de travail dans la plupart de ces grandes structures sont absolument inhumaines (on notera particulièrement l’exemple très documenté de BioWare).
Même si de nombreuses situations problématiques ont fait tomber des têtes, ce n’est pas en coupant quelques mauvaises herbes que l’on va retaper le jardin. Les assurances données par des directeurs de « faire mieux » n’amélioreront pas la situation. Il faut organiser les travailleurs·euses et changer le rapport de force. Réinjectons un peu de marxisme bon sang.

La hype comme arme

Au final le problème avec la hype est là, c’est qu’elle est utilisée par les capitalistes pour leurs intérêts. Cyberpunk 2077, sorti finalement ce mois après de nombreux retards, en est l’exemple parfait. Très content de jouer le rôle d’un studio « pour les joueurs » (contenus gratuits dans leurs jeux, aucune mesure anti-piratage, de nombreux cadeaux à des personnalités appréciées dans le milieu, etc), l’entreprise polonaise CD Projekt a désormais une armée à ses pieds qui s’occupe de faire taire les voix dissident·e·s. Un journaliste critique les heures supplémentaires forcées dans la boîte ? Menaces de mort. Une journaliste note le jeu 7/10 ? Menaces de mort but make it about sexism. Une journaliste épileptique met en garde contre une partie du jeu qui lui a causé une crise ? Bombardée sur Twitter de vidéos pouvant induire des crises.

Une jolie ironie alors que le jeu est sorti dans un état déplorable et criblé de bugs quelques jours après ces évènements. Dans cette mécanique terriblement bien huilée, ce sont au final toujours les travailleurs·euses qui perdent… Sans surprise, je n’étais pas au rendez-­vous des Game Awards 2020.

Sébastien Zürcher