Que faire de la boutique et du bistrot ?
Les aides publiques accordées dans le cadre de la lutte contre la pandémie font l’objet d’âpres confrontations politiques. Ce qui accroît d’autant plus l’aspect erratique de la politique des autorités, aggravant la situation des firmes concernées. Un coup on ouvre, un coup on ferme, on aide ici, mais pas là : aucune entreprise en difficulté ne peut résister à la longue. Quelle position adopter sur cette question des aides ?
N’importe quel benêt néolibéral devra l’admettre : même dans le capitalisme, la planification est, à un degré ou un autre, incontournable. Or ces derniers mois, nombre de petits patrons et patronnes se sont fait balloter par les ordres et contre-ordres en matière de fermeture. Sans compter les aides promises qui n’arrivent pas ou alors avec des conditions telles que l’éventail des bénéficiaires se referme aussitôt.
Patrons contre patrons
Pour comprendre cette situation, il faut voir ce qui se joue autour de ces aides. Une partie du patronat suisse, celui qui se reconnaît dans les analyses du laboratoire d’idées Avenir Suisse est fort réticent par rapport à toute intervention de l’État dans l’économie. Elle souhaite même, à mi-voix, que la crise aggravée par la pandémie accélère les changements structurels (autrement dit les restructurations et les licenciements) et qu’une vigoureuse concurrence permette d’éliminer les « branches mortes ». Peu lui importe, au fond, le coût social de cette opération.
Ce positionnement ultralibéral correspond à un processus d’internationalisation de certaines élites entrepreneuriales suisses, plus portées sur la mondialisation et ses défis que sur les soucis domestiques des autorités fédérales. Ainsi, dans son document sur la pandémie et les mesures économiques, Avenir Suisse s’en prend vertement à l’hôtellerie helvétique et son travail de lobby, et monte en mayonnaise les cas de fraude… des entreprises ! La brochure y va même de son petit couplet pseudo-écologique concernant le tourisme : « Une restructuration du secteur de tourisme, orientée vers une clientèle plus locale, européenne ou qui s’éloignerait des sports d’hiver, ne doit pas être freinée par des mesures telles que l’allocation perte de gain. » Bref, pour ces milieux « il ne faut pas rater le retour à la normalité » capitaliste et refuser « l’appel à l’État-nounou ». Tout en rappelant cyniquement que la dernière crise capitaliste date de 2008 et qu’il faudrait donc garder des réserves pour la prochaine…
À l’aide des petits patrons ?
Cette position pure et dure ne fait pas vraiment l’affaire des 110 441 micro-entreprises (jusqu’à dix salarié·e·s) qui ont obtenu 83 % des crédits garantis par la Confédération jusqu’en août 2020. Autrement dit un peu moins de la moitié du volume de ces aides (44,3 %), soit 7,267 milliards de francs. Les statistiques pour les cas de rigueur (qui sont modulés par les législations cantonales) ne sont pas disponibles.
Incontestablement, quoi qu’en dise Avenir Suisse, ces différentes aides, surtout dans la deuxième vague, ont tardé, soumises à des principes arbitraires (le pourcentage de perte du chiffre d’affaires y donnant droit, par exemple) ou carrément absurdes (pour les entreprises lancées en 2020).
Une politique anticapitaliste peut-elle souscrire à ce principe de soutien aux petites entreprises en difficulté à la suite de la pandémie ? La réponse est oui, avec quelques bémols. Oui, car la multiplication des faillites et des licenciements n’est pas souhaitable et que des emplois sont en jeu. Des bémols, car une bonne partie de ces entreprises s’activent dans des secteurs connus pour leur respect plus qu’aléatoire des normes légales ou assimilées (conventions collectives, étendues ou non).
Si l’on regarde les branches ayant bénéficié des facilités de crédit on voit que les aides les plus nombreuses ont été octroyées dans la branche des garages automobiles (19,8 %), suivi de l’hôtellerie-restauration (12,4 %), des activités scientifiques et techniques (12,1 %) et de la construction (12,1 %). On pourrait dès lors mettre en place un système qui, dans un premier temps, accorderait rapidement et facilement des aides pour soulager la trésorerie du demandeur, se bornant à vérifier quelques critères de base (dont le risque antérieur de faillite), suivies d’un contrôle systématique après l’octroi, pour vérifier et astreindre les entreprises au respect des normes légales et conventionnelles.
Daniel Süri