État espagnol

Transformation écosocialiste et industrie automobile

Les défis de la transformation écosocialiste sont nombreux, notamment quant à leur impact sur le terrain de la production. Juanjo Álvarez, militant de Anticapitalistas (État espagnol) revient ici sur le cas de l’industrie automobile.

Deux employées de Nissan Barcelone lors de la manifestation du 1er Mai
Employé·e·s de Nissan lors du 1er Mai 2021 à Barcelone

La menace d’une crise écologique, parfois décrite en termes apocalyptiques, existe depuis des décennies dans notre société. Depuis les années 1970, où quelques écologistes annonçaient un épuisement imminent du pétrole, jusqu’aux analyses écologiques postérieures, en général justes et bien tracées, la constante déterministe de ce mouvement a représenté sa limite : annoncer des phénomènes qui allaient se produire, des crises déterminées par la dynamique du capitalisme, mais qui, à ces moments précis, ne se matérialisaient pas. C’est une limite majeure, car les sociétés ne se politisent pas grâce à des phénomènes non vécus, mais par la réalité matérielle qu’elles vivent.

De la prophétie à la réalité quotidienne

La dernière décennie a vu l’inversion de cette tendance. La matérialisation de la crise détermine un changement de cycle qui mène l’écologisme vers un autre scénario et nous confronte à la nécessité de donner des réponses concrètes aux problèmes concrets. Et dans ce nouveau scénario, le défi consiste à présenter une proposition politique concrète, permettant d’ébaucher un modèle social et, à partir de là, des issues à des conflits vifs. 

Dans l’État espagnol, puissance périphérique du capital, ces conflits se matérialisent de diverses manières : les fermetures d’entreprises polluantes sont peut-être la conséquence la plus dure et celle qui a les effets les plus visibles. Le secteur de l’industrie automobile joue ici le rôle de tranchée, par le caractère pollueur de sa production, par son caractère non-viable économiquement et par la concentration du travail dans de grandes usines. Pour le dire ainsi, c’est la grande bataille du moment, par ce qu’elle suppose en soi et par ce qu’elle anticipe pour d’autres secteurs des travailleurs·euses.

Le coup de pistolet de la sortie a été donné l’été passé avec l’annonce de la fermeture de l’usine Nissan (constructeur automobile japonais, lié depuis 1997 au constructeur français Renault) à Barcelone. Je n’ai pas la place pour détailler les mouvements du capital qui ont causé cette fermeture, mais notons ici les données basiques : une usine avec peu d’options commerciales en raison de la situation de sa maison-mère, une répartition internationale de la production dans ce secteur, impliquant que Nissan abandonne l’Europe, et une situation de crise galopante de l’économie et notamment de l’industrie automobile. Les manœuvres du capital sont classiques : menacer d’une fermeture immédiate, reculer ensuite pour offrir des retraites anticipées et obtenir une prolongation où la conflictualité se désactive. La fermeture, postdatée d’un an, est pratiquement assurée, mais l’aspect significatif de ce cas n’est pas la fermeture concrète de cette usine, mais l’alternative que certains secteurs ont commencé à présenter.

Assumer la transformation écologique

En effet, un syndicat – la Confederación General del Trabajo – a jugé nécessaire de présenter un modèle assumant la transformation écologique de l’usine, en recourant à divers acteurs politiques pour élaborer une proposition en ce sens. Celle-ci préconise la reconversion de l’usine pour recycler des véhicules à combustion en voitures électriques, mises au service des municipalités pour créer des réseaux publics de mobilisation. Une proposition rapidement dédaignée par le gouvernement et l’entreprise, mais qui introduit la composante écologique dans la discussion : la proposition finale est centrée sur la production de batteries pour véhicules électriques.

Peu après l’échec de la proposition pour transformer l’usine Nissan à Barcelone, a eu lieu la fermeture d’Airbus à Puerto Real (Cádiz), une industrie lourde différente, mais dans une situation très similaire en raison de la crise du Covid-19 et les restrictions à la mobilité internationale. Alors que l’on parle de pertes d’emplois et de licenciements dans au moins trois autres usines automobiles dans l’État espagnol (Ford, à Valencia, Renault, à Valladolid, Mercedes, à Vitoria). L’articulation des propositions de transformation écologique de ces sites ne peut tarder : voilà les conflits ouverts sur lesquels se construira la sortie de crise ; nous ne parlons pas seulement d’une conjoncture, mais d’une sortie postcapitaliste, basée sur la réduction de la consommation et sur la répartition du travail. Voici l’opportunité ouverte maintenant pour allier les luttes ouvrières et la construction d’un écosocialisme classiste. Les révolutionnaires ne peuvent pas laisser passer cette opportunité.

Juanjo Álvarez
Traduction du castillan : Hans-Peter Renk