En vendant son paraquat, Syngenta méprise les droits humains

Que M. Fyrwald, nouveau patron de Syngenta, affirme dans un quotidien romand que « L’usage modéré de pesticides est bon pour la Suisse » ne surprend pas : l’agrochimie fait partie du cœur de ses activités, et il agit avant tout au bénéfice de ses actionnaires.

Un bidon de paraquat au milieu d'un champ
Un champ de maïs au Nicaragua

M. Fyrwald déclare aussi que si « depuis 1950, le monde utilise 95 % de pesticides en moins, c’est surtout grâce à nos produits plus performants ». Plus toxiques et plus mortels devrait-on préciser.

Le cynisme des capitalistes n’est plus à démontrer. Dans l’industrie chimique, il est à la hauteur de leurs dividendes : astronomique. Les dirigeant·e·s sont passé·e·s maîtres dans l’art de la duplicité. Le cas du paraquat en donne un exemple concret.

Au mois de mars 2021 ont été diffusés les paraquat papers, plus de 350 documents internes qui décrivent comment le groupe chimique ICI (Imperial Chemical Industries) a ignoré les alertes internes et les solutions de remplacement de plusieurs de ses employé·e·s.

Le paraquat est un poison

Engagé par le fleuron de l’industrie chimique britannique ICI en 1986, le jeune chimiste Jon Heylings travaille sur la composition du paraquat. C’est l’un des produits-phares d’ICI, commercialisé sous le nom de Gramoxone. Au fil de son activité, il s’interroge. Pourquoi la composition vendue est-elle différente des formulations plus sûres étudiées dans ses laboratoires ? Il avait découvert les résultats d’un autre chercheur, qui avait, 15 ans auparavant, développé une formule qui provoquait des vomissements et évitait ainsi le décès en cas d’avalement, grâce à l’ajout d’un composant (le PP796). Car le paraquat a une sinistre réputation. Ce puissant herbicide est aussi un puissant poison. Avaler une cuillère à café de ce liquide est mortel, et est couramment utilisé dans des suicides.

En 1968 déjà, un scientifique de la firme propose de modifier la composition du Gramoxone pour le rendre moins dangereux. La direction d’ICI refuse car le coût de cette modification est « prohibitif ». Le nombre de ses victimes ne cesse de croître au Royaume-Uni. Même l’agence américaine de protection de l’environnement menace de retirer l’autorisation de vente. Malgré tout, le produit continue à être commercialisé. En 1987, les 15 000 tonnes vendues ont rapporté l’équivalent de 275 millions d’euros et représentent 30 % des bénéfices d’ICI.

Syngenta dans les pas d’ICI

Le groupe ICI a ensuite donné naissance à ZENECA en 1993. Puis une fusion crée le groupe AstraZeneca (AZ). En 2000, la fusion des branches agrochimiques de AZ et de Novartis donne naissance à la multinationale Syngenta. Dernier épisode, son rachat par l’entreprise d’État chinoise ChemChina. En 2019, il pèse de 23 milliards dans le monde de l’agrochimie et ses dérivés et emploie 49 000 personnes.

En 2007 une décision de la Cour européenne de justice interdit le paraquat dans les pays européens, où il était encore utilisé par plus de 500 000 agriculteurs et agricultrices. Par contre, il peut toujours être fabriqué et exporté hors UE. En Suisse, il est interdit depuis 1989. Mais le marché suisse ne représente que 1 % des ventes de Syngenta.

Le paraquat continue d’être commercialisé aux États-Unis, où va s’ouvrir un procès dans l’État de l’Illinois. L’herbicide de Syngenta est accusé de déclencher la maladie de Parkinson. L’ancien employé Jon Heylings, devenu lanceur d’alerte, y apportera son témoignage comme expert en toxicologie et fin connaisseur de ce poison.

Pour un contrôle public total

La révélation de ces évènements, parmi d’autres errements dans les activités du secteur de l’agrochimie, montrent le peu de confiance à accorder aux sphères dirigeantes de Syngenta. Le profit est au centre de leurs préoccupations, les dividendes aux actionnaires passent avant la sécurité. Dans ces conditions, le mensonge permanent est nécessaire et même vital pour couvrir les conséquences néfastes de la production de pesticides de synthèse, qui sont, faut-il le rappeler encore une fois, des produits hautement toxiques, voire des poisons mortels pour l’espèce humaine. Comme avec l’industrie du tabac, où masquer ou minimiser les risques, nier par tous les moyens les études et les accusations de dangerosité, deviennent des actes ordinaires.

La fameuse « qualité suisse » n’est pas une barrière suffisante et sérieuse pour se prémunir contre ces agissements. Le caractère privé du capital, qu’il soit en majorité chinois ou non, est un obstacle majeur à la transparence dans la recherche, la qualité des produits, ainsi qu’à la liberté des chercheurs·ses et des employé·e·s. Un contrôle public est nécessaire sur des activités aussi nuisibles sur l’environnement et les sociétés humaines. Le transfert au domaine public des brevets n’est pas suffisant. Toute cette activité industrielle doit être contrôlée directement par ses employé·e·s et les citoyen·ne·s.

José Sanchez