Pour une lutte queer et décoloniale

À l’heure de l’apogée du capitalisme mondialisé, l’exploitation des ressources humaines et terrestres s’intensifie. Les pratiques queer et décoloniales briguent la libération et l’autodétermination de ces richesses qui nourrissent le cistème.

Lukas Avendaño joue la mariée d'un zapatiste
La·e performeur·euse·x queer et indigène Lukas Avendaño dans le rôle de la femme d’un guerillero zapatiste, CHiapas, décembre 2019

«God Save the Queer », « Quee­re­volution », « On est dur à queer »… Le mot queer a fait récemment son retour sur la scène militante, porté par des individus mais également par des associations lesbiennes et gay traditionnelles, membres du lobby LGBTQIA+. Vidé de son histoire, le terme est souvent utilisé comme un synonyme de « gay » dans des discours centrés uniquement sur le genre et la sexualité.

Cela a notamment pour effet de reléguer au second plan les autres rapports d’exploitation liés à la classe et de domination connectés au racisme ou encore à la colonialité. De cette manière, « queer » se cantonne essentiellement aux actions et revendications identitaires des personnes blanches de classe moyenne, ce qui participe à la perpétuation de logiques réformistes et ce même au sein de milieux de gauche traditionnelle ; la nouvelle loi sur le mariage en est un exemple flagrant.

Le queer, au-delà d’être une identité non normative en termes de genre et de sexualité, est également une analyse critique de la société globalisée capitaliste cis­hétérocentrée. C’est une perspective large au sein de laquelle les rapports d’exploitation sont pensés de manière systémique, où le genre occupe une place centrale mais sans être hiérarchisée. La mobilisation queer a pour objectif une justice sociale intrinsèquement liée à la redistribution économique et, par conséquent, va bien au-delà des simples demandes d’égalité et d’intégration. Divers lieux communautaires pratiquent des pratiques sociales, culturelles et politiques au sein desquelles les analyses critiques queer et décoloniales sont fondamentalement liées, comme par exemple les espaces queer chicanos, où les personnes chicanes (descendantes de Mexicain·e·x·s nées et/ou élevées aux États-Unis) cocréent des espaces de libération et autodétermination du genre et de la colonisation.

Une interrelation entre les rapports de pouvoir

Dans la pratique, le féminisme queer et décolonial propose de décoloniser les corps et les territoires ; c’est une relecture de l’imbrication entre les rapports sociaux de sexe, de race et de classe qui veut dépasser l’impasse d’une lecture d’après les représentations des colonisé·e·x·s par les colon·e·x·s. Dans cette perspective, l’objectif est de créer des espaces de vie commune, de discussion, de sociabilité, au sein desquels différentes identités culturelles et politiques peuvent se développer ; des alternatives aux modes de vies imposés par les régimes de genre et les régimes de territorialité profondément imbriqués au capitalisme.

Pour ce faire, nombreux mouvements queer et décoloniaux reprennent des pratiques issues de leur indigénité (comme le langage ou la philosophie), à des fins de revalorisation de celles-ci, mais également comme une opposition, symbolique et stratégique, à un système où les structures d’exclusion qui produisent la pauvreté se cristallisent dans les institutions qui excluent les personnes non blanches, les femmes et les personnes LGBTQIA+.

Au-delà de l’organisation politique dans des structures traditionnelles, les pratiques queer et décoloniales se concrétisent au sein de l’art, la culture, la littérature, le théâtre, la poésie, dans une perspective de représentation concrète de l’alternative sociétale et politique aux normes actuelles. La culture occupe une place centrale comme lieu de réinvention de l’histoire : une mise en pratique de l’inséparabilité de la sexualité, du racisme et de la colonialité. Les multiples manifestations artistiques et médiums utilisés pour la transmission de la mémoire par la parole, le récit et la performance, permettent notamment de rendre la pratique politique vivante et collective, inspirée du passé, ancrée dans le présent et orientée vers le futur.

Avenir queer et décolonial

À l’heure de la faiblesse d’une grande partie des luttes traditionnelles contre le système et de leur penchant réformiste, les théories et pratiques queer décoloniales proposent de créer de nouvelles alliances politiques locales et transnationales, nous permettant de composer collectivement de nouveaux avenirs. C’est par exemple dans cette perspective que les camarades zapatistes de l’EZLN ont entrepris cette année le Voyage pour la Vie, afin de créer des espaces de discussion, de réunion et d’apprentissage partagés. Les assemblées, les ateliers et autres discussions (in)formelles sont une manière collective et subjective de générer du savoir, des pratiques et des prises de conscience.

C’est un effort de se renseigner sur ce que l’on n’a jamais appris, comme penser au-delà des oppositions binaires dans lesquelles nous nous sommes construit·e·x·s : femme/homme, noir/blanc, Orient/Occident, etc. La solidarité n’est pas acquise, elle se construit matériellement au travers de la pratique collective.

Clara Almeida Lozar