Un transfeminisme pour les 99 %

L’actualité féministe francophone fait face à une résurgence (ou visibilisation accrue) de l’idéologie TERF, traduit en « féministe radicale qui exclut les personnes trans ». Au-delà de la question de l’inclusion, cet article vise à souligner l’apport du transféminisme pour l’élaboration d’un stratégie féministe révolutionnaire.

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Grève féministe 2021, Genève

Impasses politiques des catégories femme et homme

L’idéologie TERF postule que les oppressions patriarcales résultent des catégories biologiques mâle-­femelle. Du fait de naître avec des organes génitaux définis comme femelle, incarnés dans une corporalité dite « féminine », découleraient des oppressions spécifiques à la catégorie femme : socialisation inégalitaire, violences sexistes et sexuelles, précarité menstruelle, etc. Le corps détermine le devenir social. Les personnes trans*, quelles que soient leurs identités de genre, ne partageraient pas les oppressions spécifiques à ce devenir social femelle et, de facto, n’auraient pas leur place dans le mouvement féministe.

Au-delà de la violence de cette position, ces discussions posent la question de l’utilisation de la catégorie homme/femme comme base à l’élaboration d’une stratégie politique de lutte contre le patriarcat.

Différence sexuelle et classe des femmes

La pensée féministe matérialiste s’est attelée à dénaturaliser et débiologiser la catégorie femme et à proposer un modèle théorique basé sur l’exploitation de la classe « femme » par la classe « homme ».

Ici la catégorie politique femme, en tout cas par la manière dont les mouvements féministes l’ont investie, présuppose une expérience commune d’exploitation universelle aux femmes, à partir de laquelle pourrait se construire un programme d’émancipation pour toutes. En découle des impensés et manquements stratégiques évidents, comblés par la variété et la richesse de la théorie féministe noire, décoloniale, queer et tant d’autres.

La catégorisation binaire femme/homme, pensée comme déterminisme biologique, comme construction sociale ou comme classe, semble être un point de départ insuffisant pour l’élaboration d’une stratégie féministe multiple et révolutionnaire.

Reconceptualiser le genre à travers la théorie de la reproduction sociale

La théorie de la reproduction sociale discute la catégorie sexe/genre comme une justification à la division, notamment genrée du travail productif et reproductif. Associer le travail reproductif au sexe/genre féminin permet une sous/non-rémunération de celui-ci, limitant ainsi l’impact de la reproduction de la force de travail sur le taux de profit de la classe capitaliste. Il s’agit de l’utilisation des logiques patriarcales par le régime capitaliste.

Or, le travail considéré comme féminin – entretien domestique/communautaire, sexuel et de soins à la personne – peut aussi être effectué par des individus considérés comme hommes, en général racisés/féminisés. Illustré par exemple à Lausanne par l’emploi de requérants d’asile pour nettoyer les transports publics. Autant, des femmes, notamment blanches et aisées, peuvent déléguer leur travail reproductif à des personnes racisées/prolétaires.

La « féminité » et la « masculinité » sont finalement les faces d’une même pièce sur lesquelles se construisent des justifications à l’exploitation par la classe capitaliste. La place occupée dans le système de production/reproduction capitaliste ne dépend pas d’un sexe biologique immuable défini à la naissance, ni de l’appartenance à une catégorie sociale femme universelle, mais découle de conditions matérielles, elle-même conditionnées par des rapports de genre, de race et de classe, dépassant largement la possession d’organes génitaux spécifiques ou d’assignation à un genre.

Transféminisme : construction d’un féminisme des 99 %

Les personnes trans* sont souvent exclues du travail productif, surreprésentées dans le travail considéré comme féminin et précarisé, subissent des parcours de migration forcée, des violences médicales, policières et administratives.

La lutte transféministe est pensée à partir de cette position épistémique privilégiée dans les rapports de production et reproduction. Libér¯ de la bi-catégorisation sexe/genre, les militan¯ des collectifs trans* se mobilisent contre l’austérité, les violences patriarcales, racistes, les politiques migratoires répressives et avec les travailleur·euse·x·s précaires.

Le transféminisme propose des solidarités collectives et dissidentes en alternative au mariage et à la famille nucléaire pour tous. Il dépasse les revendications des féministes absorbées par l’agenda néolibéral assimilationniste des lois anti-discrimination et de l’éternel plafond de verre à briser. Il propose un féminisme qui intègre la multitude et la matérialité des oppressions du système capitaliste, un féminisme des 99 %.

Gaara & Ariel Maxime