Élections fédérales allemandes

Esprit d’Angela, es-tu là  ?

Le résultat des élections allemandes de fin septembre, dont dépend le renouvellement du Bundestag et par suite la nomination de celui ou celle qui succédera à Angela Merkel à la chancellerie, est assez imprévisible. D’une manière ou d’une autre, les trois principaux partis promettent de faire fructifier l’héritage de la « grande modératrice ». Mais de redoutables échéances les attendent.

Stand de Die Linke à Francfort
Die Linke est créditée de 6,3% des intentions de vote. Elle avait atteint 11,9% en 2009. Stand de campagne à Frankfort, septembre 2021.

Malgré les catastrophes climatiques de cet été, les inondations meurtrières dans la région de l’Eifel et les nombreux feux de forêts, chrétiens-démocrates (CDU/CSU), sociaux-démocrates (SPD) et Verts ne défendent pas de rupture fondamentale avec l’ère Merkel. Ce consensus correspond aux aménagements internes de la classe dominante : les propriétaires de capitaux ont vu que l’on pouvait faire de l’argent avec les technologies vertes ; les néolibéraux les plus acharnés ont compris qu’en temps de crise sanitaire le frein à l’endettement pouvait ne plus être le premier des dix commandements ; les sociaux-­démocrates se sont finalement ralliés à l’abandon du charbon et se distancient précautionneusement des lois Harz IV* ; les Verts ont depuis longtemps subordonné la sauvegarde de l’environnement aux intérêts de la propriété privée. La politique extérieure de l’Allemagne ne fait pas débat.

Des divergences certaines

Sur cette trame consensuelle, des divergences existent toutefois. Plus proches du patronat, les démocrates-chrétiens veulent « libérer l’économie » des contraintes administratives et de la législation de l’Union européenne, s’attaquer à la durée du temps de travail et propulser la retraite à 70 ans.

Le SPD veut réduire les sanctions des lois Harz IV (voir encart), étendre l’effet des conventions collectives et introduire un impôt sur la fortune de 1 %.

Verts et sociaux-démocrates se retrouvent pour fixer la vitesse maximale sur les routes à 130 km/h, pour imposer la fortune à 1 % et pour s’opposer au frein à l’endettement. Pour le reste, ils revendiquent sagement une taxation sur le CO₂ et la mobilité électrique. Leur revendication la plus radicale est celle de la sortie du charbon en 2030.

Die Linke (qui a réaffirmé son orientation à la gauche de la social-démocratie) et l’extrême droite (AfD) ne rentrent pas dans ce cadre. Dans les circonstances actuelles, la position de Die Linke apparaît toutefois comme une rupture avec le système. Mais en ne se centrant que sur la justice sociale et en reléguant la lutte contre le réchauffement climatique à un rang subalterne, Die Linke s’empêche d’apparaître comme une véritable solution de rechange.

Des échéances redoutables

Le prochain gouvernement devra affronter des questions d’importance. Que ce soit celle du financement de la lutte contre le dérèglement climatique, des moyens à mettre en œuvre pour réduire les émissions de CO₂, de la compensation ou non des taxes « écologiques » et des augmentations du prix des carburants. Un débat socialement explosif. Par ailleurs, l’ère Merkel laisse derrière elle des infrastructures en piteux état. Ponts et bâtiments publics se fissurent, écoles, hôpitaux et transports publics sont sous-dotés en personnel, les services publics sont à la dérive. En lien avec la controverse sur la durée du travail et sa répartition, ces questions, comme celle de la poursuite des privatisations, donneront du champ aux mouvements sociaux pour peser sur la politique fédérale.

Daniel Süri

Les Lois Harz IV

Adoptées en janvier 2005, sous l’égide du chancelier social-démocrate Gehrard Schröder, elles ont considérablement dégradé l’assurance-chômage et introduit l’obligation pour les chômeurs·euses en fin de droit d’accepter les « jobs à un euro ». Les quatre vagues de lois Harz sont considérées comme le recul social le plus massif de l’Allemagne depuis Bismarck.

Grève dans les chemins de fer :
Un triple enjeu

Comme en 2014/2015, le combatif syndicat des conducteurs et conductrices de locomotive (GDL) des chemins de fer allemands (Deutsche Bahn) est reparti par trois fois en grève cet été, la dernière fois en bloquant quatre jours le trafic voyageurs·euses début septembre.

Syndicat minoritaire dans l’entreprise (52 000 membres, tout de même !), le GDL ne fait pas partie de la Confédération syndicale majoritaire (DGB), proche de la social-démocratie. Ce statut de syndicat « marginal » lui a valu d’être à l’origine d’une loi particulière, la Tarifeinheitsgesetz ou Loi sur la négociation collective unifiée. Elle vise à empêcher des syndicats minoritaires de l’emporter statuant que lors de négociations collectives, c’est le résultat auquel souscrit le syndicat majoritaire qui s’applique.

Le second enjeu, plus classique, porte sur des adaptations salariales. Le GDL demande une adaptation au coût de la vie identique à celui de la fonction publique et une prime pour la situation d’urgence due au Covid (en Allemagne, 90 % des liaisons ferroviaires ont été assurées). La situation est d’autant plus tendue que le train de vie de la direction de la Deutsche Bahn n’a rien d’exemplaire et que les investissements dispendieux à coup de milliards d’euros se poursuivent.

Troisième dimension : la lutte contre le dérèglement climatique implique un développement du transport par le train. Seules des conditions de travail décentes sur tous les plans permettront de relever ce défi et d’engager le personnel nécessaire.DS