Réaction à la Marsch fürs Läbe

« Mon corps, mon choix » ne suffit pas

Le 18 septembre dernier, des anti-avortement sont à nouveau descendu·e·s dans la rue à Zurich. En tant que force émancipatrice, nous devons prendre au sérieux ce mouvement dans sa dimension internationale et développer des réponses solides.

Manifestation anti-avortement à Zurich
Manifestation «Marsch fürs Läbe», Zurich, 18 septembre 2021

Samedi 18 novembre dernier, la 11e « Marsch fürs Läbe » (« Marche pour la vie ») a eu lieu à Zurich Örlikon. La manifestation a lieu chaque année depuis 2011 à Zurich ou dans ses environs, et réunit entre 1000 et 2000 personnes.

Chaque année, un nouveau slogan grotesque orne la banderole de tête. Cette année c’était : « Jeune, enceinte, sans défense ». Derrière, des dizaines de pancartes s’élevaient dans les airs, montrant des familles hétéro, blanches et rayonnantes. À côté d’elles, des religieuses priaient à voix haute et, au milieu du cortège, une douzaine d’enfants saluaient les passant·e·s depuis une poussette géante.

Un mouvement fondamentaliste religieux

Ces manifestations sont organisées, sous le couvert de l’association éponyme, par des forces chrétiennes fondamentalistes et de droite. Jusqu’à récemment, la présidence de l’association était assurée par Daniel Regli, qui siégeait en même temps – sans surprise – pour l’UDC au Conseil municipal de Zurich. L’association dispose par ailleurs d’un très bon réseau. L’une des associations qui la parrainent, Pro Life, propose, en collaboration avec la compagnie d’assurance Helsana, des réductions sur les primes d’assurance maladie en cas de renoncement à l’avortement. Elle coopère aussi au niveau international : cette année à Örlikon, par exemple, un message de salutation de la March for Life de Washington a retenti dans les haut-parleurs. Donald Trump et Mike Pence s’étaient rendus à celle-ci en 2019.

Un réseau transnational

L’association dispose d’un réseau international effrayant : il existe des associations du même nom en Pologne, aux États-Unis, en France, en Italie, en Allemagne notamment. Elle fait partie du mouvement anti-­choix, dont les soutiens vont de petits groupes de médecins catholiques fondamentalistes à de puissants lobbys internationaux.

Au-delà de sa politique réactionnaire en matière d’avortement et de sa confession chrétienne plus ou moins marquée, le mouvement est surtout consolidé par une vision du monde chrétienne-conservatrice voire nationaliste et populiste.

Le mouvement « pro-vie » ne se contente pas de diffuser ses idées sur des forums Internet ou de se réunir lors de petites manifestations annuelles. Il est au contraire capable, avec une efficacité choquante, de faire appliquer des lois au niveau des États. En 2016 en Pologne, par exemple, l’initiative populaire « Stop Aborcji » (« Stop à l’avortement ») demandait une interdiction totale de l’avortement et était initialement soutenue par le gouvernement de droite du PSI. Elle n’a pu être bloquée – du moins à moyen terme – que par les protestations massives du mouvement féministe dans le cadre des Black Protests.

En Allemagne, l’article de loi §219a (remontant par ailleurs à l’époque du national-socialisme) qui interdit la « publicité » pour l’avortement est toujours en vigueur. Cette outil juridique permet aux « pro-vie » de compliquer le travail des médecins par des dénonciations sur Internet ou des plaintes. Leur acharnement a conduit au fait que dans de nombreuses villes allemandes il n’y a plus de cabinet pratiquant des avortements. Au Texas, une loi interdisant les avortements après la 6e semaine de grossesse est entrée en vigueur en septembre (voir solidaritéS n° 394).

La nécessité d’une réponse féministe et émancipatrice

Ce serait faire preuve d’une grande myopie que de ne voir dans la « Marche pour la vie » qu’une bande de fondamentalistes religieux·ses bloqué·e·s au 19e siècle. Et il serait tout aussi naïf de leur opposer uniquement le slogan féministe de l’« autodétermination ».

La lutte contre ce mouvement réactionnaire exige des débats féministes plus approfondis, pour penser l’émancipation des femmes*. En tant que forces politiques féministes, nous devons revendiquer des conditions qui permettent réellement de décider librement d’avoir des enfants ou non. Il s’agit notamment du financement et du développement des crèches, d’un réel soutien aux parents et, plus généralement l’abolition de la famille nucléaire comme norme sociale.

En outre, des débats sont nécessaires autour de questions sociopolitiques telles que l’euthanasie dans le cadre du néolibéralisme, le diagnostic prénatal et les avortements sélectifs de fœtus handicapés – même si ces questions sont très complexes. Car les anti-avortement réussissent dans leur combat pour l’hégémonie surtout là où les forces émancipatrices leur ont laissé de l’espace et n’ont pas développé de réponses de gauche à ces questions.

En réponse à ce mouvement anti­féministe et nationaliste, il nous faut plus qu’une conception de l’« autodétermination » teintée de néolibéralisme.

Sarah Friedli (MPS Zurich) & Lisa Widerstandli
Traduction et adaptation par la rédaction