THE LAST DUEL

Trois visions pour un système d’oppression

Le dernier film de Ridley Scott délivre un récit médiéval pour s’attaquer à la thématique du viol. En croisant les points de vue, il dévoile les normes politiques qui permettent l’intolérable.

Matt Damon et Jodie Comer dans Last Duel
Jean de Carrouges (Matt Damon) et Marguerite (Jodie Comer)

The Last Duel se présente d’abord comme un film historique médiéval. Il raconte le duel véridique entre Jacques Le Gris et Jean de Carrouges, suite à l’accusation de viol émise par la femme du dernier, Marguerite. Le réalisateur ne méconnait pas les règles de la reconstitution historique, entre châteaux et campagnes, au risque de friser parfois le documentaire un peu scolaire avec ses marchés où se vendent salaisons de poisson et bétail dégrossi.

Mais le film a le mérite de ne pas tomber dans le style épique. Il montre les duels et les combats médiévaux sous un jour sanguin, immergeant spectateurs et spectatrices dans des corps à corps brutaux. De plus, les soubassements politiques des actions des personnages sont mis en avant. Ainsi le mariage répond à des volontés de redorer un nom tombé en disgrâce suite aux nouveaux accords politiques, quand la prise des armes se fait aussi pour des raisons économiques. Jean de Carrouges, ruiné, n’a d’autre choix que de vendre ses bras à l’armée du roi. De façon efficace, le réalisateur parvient par des petites touches à faire resentir les tensions politiques de cette époque entre féodalité et aristocratie.

Réalisme subjectif

Sous ce décor médiéval, le film s’arrête sur un autre combat : celui d’une femme violée qui refuse de laisser l’acte impuni et est prête à risquer sa vie pour cela. Ridley Scott évite heureusement le biais misogyne de l’intrigue focalisée sur la véracité. Dès le départ, il est clair pour le spectateur, la spectatrice qu’il y a bien eu viol.

L’intrigue est déplacée autour de la question du point de vue. Le film est en effet divisé en trois parties prenant les points de vue des trois protagonistes, les uns après les autres. Ces points de vue se croisent souvent, et sont parfois semblables. Mais c’est à travers leurs différences que le propos parvient à ne pas s’arrêter à la dénonciation de l’acte pour s’attaquer aux normes sur lesquelles l’acte germe.

Le point de vue féminin permet ainsi de connaître la perception de l’épouse, mais aussi de montrer tous les éléments que les hommes ne voient même pas : l’implication dans la gestion du domaine, les humiliations subies, mais aussi la capacité des femmes à se moquer des hommes.
Le point de vue de Jacques Le Gris s’inscrit, lui, dans une vision du monde qui accepte le viol : le non-consentement féminin est interprété comme une minauderie faite pour la forme, tandis que le viol est une pratique récurrente à la cour. Cette description est pertinente pour parler de la sexualité au Moyen-Âge, mais résonne évidemment avec la culture du viol actuelle.

Par le point de vue du mari, c’est le miroir déformant du « chevalier servant » qui est mis à jour. En effet, si Jean de Carrouges se voit comme un mari patient et courageux, son reflet dans le regard de Marguerite montre qu’il sert avant tout ses intérêts personnels et son orgueil. Le rapport à la sexualité féminine du mari ne diffère que peu de celui du violeur, méconnaissant toute forme de consentement.

Ridley Scott impressionne dans sa capacité à filmer ces trois points de vue en variant les cadrages, les détails. De nombreux événements apparaissent plusieurs fois mais on ne ressent aucune répétition ennuyeuse. Au contraire, le récit s’enrichit en tensions. Le regard de la femme conclut la trilogie et vient révéler les déformations patriarcales. Le regard de l’opprimée est donc celui qui permet ici de mettre à jour la vérité.

 T he Last Duel se présente d’abord comme un film historique médiéval. Il raconte le duel véridique entre Jacques Le Gris et Jean de Carrouges, suite à l’accusation de viol émise par la femme du dernier, Marguerite. Le réalisateur ne méconnait pas les règles de la reconstitution historique, entre châteaux et campagnes, au risque de friser parfois le documentaire un peu scolaire avec ses marchés où se vendent salaisons de poisson et bétail dégrossi.

Mais le film a le mérite de ne pas tomber dans le style épique. Il montre les duels et les combats médiévaux sous un jour sanguin, immergeant spectateurs et spectatrices dans des corps à corps brutaux. De plus, les soubassements politiques des actions des personnages sont mis en avant. Ainsi le mariage répond à des volontés de redorer un nom tombé en disgrâce suite aux nouveaux accords politiques, quand la prise des armes se fait aussi pour des raisons économiques. Jean de Carrouges, ruiné, n’a d’autre choix que de vendre ses bras à l’armée du roi. De façon efficace, le réalisateur parvient par des petites touches à faire resentir les tensions politiques de cette époque entre féodalité et aristocratie.

Réalisme subjectif

Sous ce décor médiéval, le film s’arrête sur un autre combat : celui d’une femme violée qui refuse de laisser l’acte impuni et est prête à risquer sa vie pour cela. Ridley Scott évite heureusement le biais misogyne de l’intrigue focalisée sur la véracité. Dès le départ, il est clair pour le spectateur, la spectatrice qu’il y a bien eu viol.

L’intrigue est déplacée autour de la question du point de vue. Le film est en effet divisé en trois parties prenant les points de vue des trois protagonistes, les uns après les autres. Ces points de vue se croisent souvent, et sont parfois semblables. Mais c’est à travers leurs différences que le propos parvient à ne pas s’arrêter à la dénonciation de l’acte pour s’attaquer aux normes sur lesquelles l’acte germe.

Le point de vue féminin permet ainsi de connaître la perception de l’épouse, mais aussi de montrer tous les éléments que les hommes ne voient même pas : l’implication dans la gestion du domaine, les humiliations subies, mais aussi la capacité des femmes à se moquer des hommes.
Le point de vue de Jacques Le Gris s’inscrit, lui, dans une vision du monde qui accepte le viol : le non-consentement féminin est interprété comme une minauderie faite pour la forme, tandis que le viol est une pratique récurrente à la cour. Cette description est pertinente pour parler de la sexualité au Moyen-Âge, mais résonne évidemment avec la culture du viol actuelle.

Par le point de vue du mari, c’est le miroir déformant du « chevalier servant » qui est mis à jour. En effet, si Jean de Carrouges se voit comme un mari patient et courageux, son reflet dans le regard de Marguerite montre qu’il sert avant tout ses intérêts personnels et son orgueil. Le rapport à la sexualité féminine du mari ne diffère que peu de celui du violeur, méconnaissant toute forme de consentement.

Ridley Scott impressionne dans sa capacité à filmer ces trois points de vue en variant les cadrages, les détails. De nombreux événements apparaissent plusieurs fois mais on ne ressent aucune répétition ennuyeuse. Au contraire, le récit s’enrichit en tensions. Le regard de la femme conclut la trilogie et vient révéler les déformations patriarcales. Le regard de l’opprimée est donc celui qui permet ici de mettre à jour la vérité.

Assumer la domination

On pourrait dès lors s’étonner du titre choisi pour ce film. « Le dernier duel » invisibilise la présence de la femme : il réduit le trio de points de vue au simple duel masculin dont la résolution ne peut passer que par l’usage de la force brute. Mais on peut voir dans ce choix de titre la volonté d’insister sur cette absence et de critiquer la vision dominante de l’histoire qui méconnait le rôle des femmes pour ne retenir que les faits d’armes masculins.

Car si c’est bien Marguerite de Carrouges que le film montre en héroïne, courageuse et réfléchie, ses valeurs n’auront toutefois que peu de pouvoir dans le monde patriarcal : « There is no right. There is only the power of men », nous rappelle le film. C’est de ce pouvoir que dépend l’issue des événements. C’est justement en le rappelant que The Last Duel évite toute vision naïve et donne à son propos toute la brutalité et la vivacité qu’il mérite. Actuel sans être anachronique, ambitieux tout en étant haletant, ce film constitue un coup de force cinématographique dont on ne ressort pas indemne.

Pierre Raboud