Soins infirmiers

Construire une alternative collective

Des infirmières lors de la manifestation du secteur de la santé à Berne
«Nous serions plus de monde, mais nous devons taffer», manifestation du personnel de la santé, Berne, 30 octobre 2021

La victoire de l’initiative « Pour des soins infirmiers forts » peut-elle permettre de résoudre une partie des problèmes du système de santé ? Cette victoire politique peut-elle, à elle seule, renverser un rapport de forces largement défavorable jusqu’ici ? Cette victoire peut-elle être un point d’appui pour « remonter le courant » et inverser les dynamiques mortifères à l’œuvre dans le secteur de la santé ?

Faire gagner une initiative est un exploit considérable pour notre camp social. Les raisons du oui à cette initiative sont sans doute multiples – solidarité (de classe et de genre) avec « celles qui triment », effets de la pandémie, reconnaissance de l’importance d’un besoin en personnel de santé formé, etc. Cette victoire symbolique est précieuse. Mais ni son contenu, ni son application concrète ne peuvent permettre d’envisager un changement de cap.

D’abord, avec le sens du respect des décisions démocratiques qui leur est propre, les représentant·e·s des partis bourgeois ont déjà annoncé les « difficultés d’application » de l’initiative. En clair : « on fera ce qu’on veut ».

Deuxièmement, les exécutifs cantonaux ne sont décidés à revaloriser ni les infirmières ni le personnel soignant. Le Parti socialiste, qui s’est affiché pour le oui durant la campagne, refuse d’augmenter les infirmières dans les cantons où ses élu·e·s sont à la tête du département de la santé. On voit mal que l’acceptation de l’initiative suffise à les faire changer d’avis. L’austérité reste la référence politique centrale des exécutifs.

Même une reconnaissance salariale ne changerait pas fondamentalement la donne : les infirmières sont une partie du système de soins, elles n’en constituent pas l’ensemble. De fait, même si une amélioration de la situation de cette corporation se réalisait, on n’en aurait pas pour autant fini avec les mécanismes qui transforment les prestations de santé en marchandises : qu’il s’agisse des soins à domicile, de l’ambulatoire ou du stationnaire, le système de santé est plus préoccupé de satisfaire des actionnaires et des managers que les patient·e·s. On caricature à peine.

Là où le·la patient·e coûte, il faut limiter les dépenses et les prestations sont rabotées au maximum. Là où le·la patient·e est un·e client·e solvable, les entreprises de santé sont en concurrence pour gagner des parts de marché.

Dès lors, pour inverser la tendance à la prolifération des entreprises de santé (des assurances aux prestataires), le moment semble venu d’essayer de construire une alternative réunissant les usagères et usagers, les organisations de salarié·e·s et les forces politiques qui s’opposent à ces mécanismes. Avec l’objectif de discuter et débattre d’une modification du système de financement du secteur de la santé. Une tâche exigeante, certes, mais qui semble être la seule issue pour sortir de l’engrenage actuel.

Si la victoire de l’initiative de l’ASI peut y aider en redonnant confiance aux salarié·e·s, en démontrant la crise aiguë dans laquelle se trouve le système de santé, elle pourrait alors devenir autre chose qu’une victoire symbolique importante.

David Gygax