Aide aux médias

L’argent public a mauvaise presse

Fort de plus de 110 000 signatures, un référendum se tient en février contre une (timide) loi de soutien aux médias. Les adversaires du texte déploient un argumentaire creux et éculé : il ne faudrait pas troubler le jeu du marché, garantie de diversité.

Une femme feuillette un magazine dans un kiosque
Valora Group

«L’argent du contribuable ne doit pas profiter à des millionnaires, milliardaires et actionnaires ! » Difficile de ne pas tomber d’accord avec cette phrase, a priori. Les choses se compliquent si l’on en connaît l’origine : le comité référendaire s’opposant à l’aide aux médias votée en juin 2021 par le Parlement.

Comme d’autres avant elle, l’alliance « Non à la loi sur les médias » se dit apolitique mais sert de repaire aux proches de l’UDC et de groupes comme les Amis de la Constitution. Avec, comme d’habitude pour ce type de mobilisations, une inflation de formules ampoulées en faveur de la liberté et du peuple dissimulant mal des positions ultra-réactionnaires.

Un pas si gros « paquet d’aides »

En l’espèce, quel « pillage des caisses de l’État », censément « favorable aux grands groupes de presse », agite ces soi-disant soutiens de la liberté ? Il s’agit d’un paquet d’aides aux médias suisses pour les sept prochaines années.

La loi, âprement négociée au printemps dernier, viendrait s’ajouter aux aides déjà existantes pour sauver une presse en difficulté. Car tout le monde s’accorde sur le diagnostic : avec une baisse de 40 % de ses recettes publicitaires en une vingtaine d’années, la presse écrite agonise lentement mais sûrement. Au point que les cantons aussi envisagent des mesures d’aide : le Grand Conseil vaudois a voté une enveloppe de 6,2 millions de francs sur cinq ans.

L’essentiel des mesures fédérales consiste en aides indirectes : 70 millions seraient affectés à la distribution des journaux par la Poste, venant compléter 50 millions déjà en vigueur. La loi précise que ces rabais dépendront du tirage. Autrement dit, les plus petites publications toucheront proportionnellement plus d’argent, quand la campagne du référendum voudrait faire croire que les subventions du Conseil fédéral iront remplir les caisses des grands groupes de presse.

Aux aides indirectes s’ajoutent 30 millions d’aide directe aux médias en ligne. Enfin, la redevance de radio-télévision doit permettre d’accorder 23 millions (en plus des 5 actuels) d’aide aux institutions de formation et aux agences de presse, ainsi que 28 millions d’aide supplémentaire aux radios locales et télévisions régionales.

Total : 151 millions de francs par an. Pour celles et ceux qui s’inquiètent pour la santé financière du pays, rappelons que la dépense publique suisse représente plus de 200 milliards de francs annuels. Et les mêmes qui aujourd’hui s’offusquent ont défendu un crédit de 6 milliards pour des avions de chasse.

La haine de l’État

Mais bien sûr, la question du montant est l’arbre budgétaire qui cache la forêt idéologique. Parmi les arguments du comité référendaire, de l’UDC et d’une bonne part du PLR et du Centre, ainsi que des milieux patronaux, le principal se résume à un discours poujadiste sur l’État. Si les médias dépendent des finances publiques, alors l’État les contrôle, c’en est fini de la liberté d’expression et, avec elle, de la démocratie.

Une telle ferveur pour défendre le « quatrième pouvoir » face à un État aux penchants autoritaires serait presque émouvante si elle était moins hypocrite. Et imbécile. Les aides indirectes à la presse existent déjà et, aux dernières nouvelles, il n’existe pas de loi sur la censure, pas plus qu’il n’y a d’agents de l’État infiltrés dans les comités de rédaction. Pour la comparaison avec la Corée du Nord, on repassera.

En revanche, que penser quand Le Temps tombe dans le giron d’une fondation alimentée par des milliardaires (solidaritéS nº 379) ou quand Christoph Blocher rachète à tour de bras des journaux gratuits (solidaritéS nº 313) ? Quid de la démocratie menacée ?

La religion du marché

L’autre argument central des référendaires, lié au premier, n’est pas plus subtil : à l’État en général et aux subventions publiques en particulier, il faut préférer le marché, garant de la diversité de l’offre. On le sait pourtant depuis 150 ans, c’est le marché qui génère des monopoles, dans l’industrie comme ailleurs. Et, dans le cas des médias et de la course à l’audience, le marché fait encore « mieux » : il uniformise l’offre.

Une partie du PLR ne s’y trompe pas en soutenant le texte. Les mesures n’ont rien de révolutionnaire et se contentent d’accompagner la transition vers un nouveau modèle économique : l’État intervient pour préserver la sacro-sainte concurrence, jouant le rôle que lui attribue la pensée néolibérale.

En somme, s’il faut soutenir ces aides, c’est sans se faire d’illusions sur leur incompatibilité avec une vision marchande de la presse. Ni sur la capacité des médias actuels à servir de relai à la contestation de l’ordre politico-économique.

Guy Rouge