Patrimoine culturel béninois

une restitution en trompe-l’œil ?

En novembre dernier, la France a restitué au Bénin 26 trésors royaux pillés pendant la colonisation. Mais un regard sur la situation plus générale du patrimoine africain pillé éclaire l’insuffisance du geste. 

Un camion transporte les trésors royaux du Bénin
Défilé des camions transportant les trésors royaux, Cotonou, 10 novembre 2021

Le cœur était à la fête ce mercredi 10 novembre 2021, et c’est sous des scènes de liesse que le convoi transportant les 26 trésors royaux rendus au Bénin, 129 ans après leur vol par les colons français, a défilé le long de la route de l’aéroport de Cotonou.  

Leur restitution intervient quatre ans après le discours tenu par M. Macron à Ouagadougou en 2017, lors duquel il a affirmé vouloir que « d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique. »Une déclaration qui avait créé la surprise générale, notamment parce qu’à peine une année plus tôt, le gouvernement de François Hollande avait refusé la demande de restitution du Bénin au motif de l’inaliénabilité du patrimoine détenu dans les collections nationales.

La démarche n’est certainement pas sans lien avec le souci de M. Macron de redorer l’image d’une France de plus en plus honnie en Afrique de l’Ouest, où parallèlement de nouveaux partenariats se concluent avec des puissances concurrentes telles que la Chine. Mais, si la démarche n’est pas désintéressée, l’allocution du président français a néanmoins eu le mérite de remettre sur la table une question encore taboue et de relancer le débat à un niveau mondial.

26 objets, soit 0,8 % du patrimoine béninois spolié…

Toutefois, la promesse, dont le caractère inédit n’a pas manqué d’être souligné avec force par les médias, n’a finalement abouti qu’à bien peu de choses. Car les 26 objets restitués au Bénin (choisis unilatéralement par la France), ne représentent que la pointe de l’iceberg : à ce jour, plus de 90 % du patrimoine africain se situe toujours hors du continent. En France, les musées nationaux possèdent près de 90 000 objets originaires d’Afrique subsaharienne, dont 70 000 se trouvent au quai Branly. Concernant les pièces originaires du Bénin, Irénée Zevounou, ambassadrice du pays à l’Unesco, estime qu’elles seraient au nombre de 4500 à 6000 en France, y compris dans des collections privées. 

L’écart numérique entre les œuvres toujours détenues et celles déjà rendues, amène Louis-Georges Tin, Loval Rinel et Laurent Tonegnikes, président·e·s du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) et du CRAN-Bénin, à dénoncer une « restitution en trompe-l’œil » : « la France restitue tout au plus 0,8% du patrimoine béninois. (…) une restitution à 0,00 et quelques pour cent n’est pas une vraie restitution. » (Libération, 5.10.2021)

Le maintien d’une telle situation est difficilement justifiable. L’argument le plus souvent avancé selon lequel les pays concernés manquent d’infrastructures de conservation n’est plus vrai : des musées ont été construits, souvent avec l’aide de financements étrangers, tels que la Fondation Zinsou à Cotonou (qui a d’ailleurs déjà accueilli des expositions du quai Branly), le Musée des civilisations noires à Dakar, ou encore l’Edo Museum of African Art au Nigeria.

En outre, l’argument selon lequel les œuvres appartiendraient au patrimoine de l’humanité se heurte rapidement à la réalité des politiques migratoires. Comme l’a souligné Aminata Traoré, ancienne ministre malienne de la Culture, les musées occidentaux ne peuvent prétendre être universels : « Le Musée du quai Branly est bâti, de mon point de vue, sur un profond et douloureux paradoxe à partir du moment où la quasi totalité des Africains, des Amérindiens, des Aborigènes d’Australie, dont le talent et la créativité sont célébrés, n’en franchiront jamais le seuil compte tenu de la loi sur l’immigration choisie » (Africultures, 2016).

Une politique proactive nécessaire

Certes, la restitution des 26 trésors au Bénin est un pas important, mais elle doit être qu’une étape d’un processus bien plus conséquent. Pour éviter que la « grande promesse » de Macron ne demeure un vœu pieux, les autorités françaises devront faire preuve d’une volonté politique proactive, notamment afin de modifier le code du patrimoine français 1, ce qui impliquera d’affronter le lobby des collectionneurs·euses privé·e·s. 

De plus, un réel souci de la préservation du patrimoine devra également passer par la création d’outils efficaces de lutte contre le trafic des biens spoliés car, comme l’a rapporté l’UNESCO en fin d’année 2020, « l’attrait pour les mosaïques, les jarres funéraires, les sculptures, les statuettes ou les manuscrits anciens n’a jamais été aussi fort » au point que « le commerce illicite de biens culturels occupe le troisième rang des activités criminelles internationales, après le trafic de stupéfiants et d’armes » (Ernesto Ottone Ramírez, Le Courrier de l’UNESCO, avril 2020).

Elisa Turtschi

1 À ce sujet, voir : Felwine Sarr & Bénédicte Savoy, « Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle », Novembre 2018