«Nous ne séparions pas la lutte de la vie»

Révolutionnaires, Récits pour une approche féministe de l’engagement est un ouvrage coordonné par le collectif L’Atelier de passage qui réunit des personnes nées entre les années 1980 et 1990. Il a été publié aux éditions du commun en février dernier. 

À travers le témoignage de six femmes qui se sont engagées dans des luttes, en Uruguay, en Allemagne, en Suisse, en Italie ou en France, dans la seconde moitié du vingtième siècle, il retrace la pluralité et la vitalité de l’engagement militant au sein de mouvements révolutionnaires de cette époque. Elles ont été, ou sont encore, anarchistes, membres de partis marxistes-léninistes dans les années 1970 et libertaires dans les années 2000, syndicalistes ou encore établies. 

Les luttes collectives qu’elles ont menées ont marqué et imprégné leur existence. Ainsi, chaque témoignage s’ouvre sur la même question « Comment vos convictions, vos engagements révolutionnaires ont-ils modelé votre vie ? » 

On découvre au fil des récits comment l’engagement de ces femmes, ainsi que leurs convictions politiques, ont évolué durant ces décennies. Nombre d’entre elles ressentent un sentiment d’urgence à agir, à prendre part à un processus collectif et international qui mettra fin à l’exploitation capitaliste. Puis s’en suit un sentiment de tristesse et de désespoir face à l’échec de toutes les tentatives révolutionnaires progressistes, à l’écrasement des droits à l’auto­nomie et à l’autodétermination des peuples par l’URSS et au triomphe du néolibéralisme. 

Chaque témoignage met également en avant les conséquences, parfois heureuses mais bien souvent malheureuses, de leur engagement. Certaines ont dû s’exiler de leur pays de nombreuses années durant. D’autres n’ont jamais réussi, malgré des formations professionnelles conséquentes, à trouver un emploi qui leur permette de se sortir de la précarité. La majorité d’entre elles rapportent également l’impact négatif qu’a pu avoir leur engagement, ou du moins leur analyse politique du monde, sur leur santé mentale. Toutes ont pourtant gardé cette volonté de lutter et cette conviction que seul un engagement collectif, peu importe l’échelle à laquelle il se forme, est à même de construire des rapports de force.

En liant au fil des pages anecdotes personnelles et intimes avec des explications quasi-sociologiques du contexte politique dans lequel ces femmes ont évolué, cet ouvrage s’inscrit dans la lignée de l’adage qui guide le militantisme féministe depuis les années 1970 : le privé est politique et les frontières entre individuel et collectif, personnel et politique, sont faites pour être chamboulées, redéfinies, abolies.

Dans une période de recul généralisé des forces progressistes, face à une montée des autoritarismes racistes, nationalistes et impérialistes et à une accentuation de la violence néolibérale, qui nous mettent quotidiennement face à notre sentiment d’impuissance, ce livre est un outil de mémoire collective précieux. Il nous permet de nous inscrire dans une histoire militante, de nous rappeler d’où nous venons, au moins en partie, et de nous questionner sur où nous souhaitons aller. 

Rosie Moser