Augmenter aussi l’âge de la retraite des centrales atomiques?

Dès que le Conseil fédéral a évoqué l’hypothèse de pénuries d’électricité en Suisse en début d’année, l’UDC a saisi cette occasion pour présenter sa « solution ». La construction de nouvelles centrales nucléaires deviendrait inéluctable. Vraiment ?

Mine d'uranium russe abandonnée
Une partie de l’uranium utilisé dans les centrales suisses vient de Russie. Mine d’uranium abandonnée de Lermontovsk.

En octobre 2021, le ministre de l’économie Guy Parmelin déclarait que la Suisse pourrait souffrir d’une pénurie d’électricité à partir de 2025 dans le pire des cas, selon un rapport sur la sécurité de l’approvisionnement en électricité.

Sautant sur l’occasion, l’UDC a tout de suite organisé une opération politique, en attaquant le Parti socialiste et sa ministre Simonetta Sommaruga, ainsi que les Vert·e·s pour leur incompétence en la matière. La nomination d’un « général », comme en temps de guerre, pour s’occuper du dossier était évoquée.

Fausse solution à plusieurs titres

Pourtant sur un sujet aussi important, l’UDC esquive deux questions majeures. Tout d’abord le coût de construction. En France, un nouvel EPR (réacteurs de 3e génération) est estimé à environ 10 milliards l’unité. Qui financerait les nouvelles centrales exigées par l’UDC ? La Confédération ou des sociétés privées ? Les grands groupes électriques sont restés muets pour l’instant sur le sujet, tout comme l’UDC d’ailleurs. La démagogie populiste est encore à l’œuvre. Le président d’Alpiq déclarait la semaine passée dans la NZZ qu’« il n’y a ni consensus social ni compétences industrielles » pour la construction de nouvelles centrales et qu’« aucun fournisseur ne veut en construire, aucune banque ne veut les financer.»

Les délais de réalisation de nouvelles centrales ne sont pas compatibles avec l’urgence présentée par l’UDC. Le temps de construction dépasse les 10 ans, si aucun retard n’est observé. Même les projets basés sur des réacteurs plus réduits (SMR) ne seront pas réalisés avant 2029-2030, pour autant que leur développement réalise les objectifs espérés. Les centrales de type EPR ont explosé les délais. Pour Framanville (France), le chantier a commencé il y a plus de 13 ans et la centrale n’est pas encore opérationnelle ! Le dépassement des délais de construction s’accompagne aussi d’une explosion des coûts. Estimé au départ à environ 3 milliards d’euros, le coût de ce chantier se monte actuellement à 13 milliards, soit 4 fois plus. La proposition de l’UDC est visiblement irréaliste. Elle ne sert donc qu’à faire diversion. Occuper le terrain pour ne pas débattre du changement énergétique, sujet sur lequel les propositions de la bourgeoisie sont carrément climatocides. 

Avec ces orientations, les forces patronales ont réalisé aussi une opération politicienne contre le parti des Vert·e·s et le PSS et sa conseillère fédérale Simonetta Sommaruga. Mais surtout, elles affirment la priorité d’une production énergétique débarrassée de toute contrainte politique et avec une inversion des priorités. En matière de politique énergétique et climatique, la sécurité de l’approvisionnement doit devenir prioritaire, au détriment de la protection du climat et des intérêts de la protection de la nature et du patrimoine.

Vive la concurrence ?

Dans ses dernières prises de position, Économiesuisse présente d’autres critiques aux propositions de Simonetta Sommaruga. Justifiant une orientation énergétique ultralibérale, l’association patronale critique le maintien du prélèvement du supplément réseau jusqu’en 2030 et le relèvement de 0,2 centime/kilowattheure.

Elle est aussi favorable à une ouverture complète du marché, c’est-à-dire débarrassée de toute forme de régulation publique, car cela contribue au maintien de la sécurité d’approvisionnement, soulignent les intégristes du marché.

Économiesuisse est plus prudente sur l’avenir du nucléaire. « Nos centrales nucléaires devraient pouvoir continuer à fonctionner tant qu’elles sont sûres… si les centrales nucléaires peuvent être exploitées de manière rentable et que le problème du stockage final des déchets soit résolu. » Rappelons qu’il n’y a toujours pas de solution pour ce stockage…

Ainsi, cette menace de pénurie sert d’argument aux partisan·e·s du nucléaire pour prolonger la durée de fonctionnement des installations actuelles. Prévues à l’origine pour fonctionner 20 à 30 ans, beaucoup d’installations de par le monde allongent leur activité. Aux USA, pays possédant le plus grand nombre de centrales encore en activité, l’âge moyen dépasse les 40 ans. La France, où 56 réacteurs tournent actuellement, certaines centrales approchent aussi les 40 ans. Les quatre centrales suisses ont entre 38 et 52 ans. 

À l’évidence, plus ce temps d’activité augmente, plus le risque d’un dysfonctionnement grandit. Or, les centrales suisses se trouvent à proximité des grandes villes alémaniques. Un accident majeur verrait des territoires irradiés pour de très longues périodes, poussant leur population à un exode définitif. L’UDC romande exigera-t-elle de construire un mur le long de la Sarine ?

José Sanchez