La question coloniale entre au musée

La nouvelle exposition permanente du Musée d’art et d’histoire (MAHN), Mouvements, aborde le rôle de la classe dominante dans le colonialisme et l’esclavagisme et des bénéfices rapatriés. L’implication de la Suisse et en particulier de Neuchâtel dans l’entreprise coloniale est enfin discutée et exposée dans une institution neuchâteloise.

Vue de l'exposition Mouvements au MAHN
Vue de l’exposition lors du vernissage
MAHN

L’exposition se décompose en cinq salles qui dessinent les mouvements incessants de celles et ceux qui sont passé·e·s par Neuchâtel et qui marquent les histoires suisse, européenne et mondiale. Ces mouvements se sont matérialisés par l’intégration d’une classe dominante très internationalisée, l’émigration d’officiers et de soldats, puis une immigration ouvrière dont de nombreux militant·e·s révolutionnaires. 

La salle introductive dessine quelques portraits de Neuchâtelois·e·s et d’immigré·e·s figures de leur temps, de Jean-Paul Marat à Jenny Humbert-Droz. Les deuxième et troisième salles traitent de façon acritique les représentations de la guerre durant l’époque contemporaine. Elles reprennent le mythe de la « vocation humanitaire de la Suisse ». L’internement des prisonniers de guerre de l’armée de Bourbaki devient un « accueil » et le Don suisse pour les victimes de guerre est célébré en taisant la nécessité d’alors des bourgeois suisses de démontrer un soutien à l’effort de guerre de l’Axe.

Neuchâtel dans le commerce triangulaire

La quatrième salle – la plus intéressante – traite de l’implication des riches familles neuchâteloises dans la traite et l’emploi d’esclaves dans les Amériques. Les liens étroits de l’activité manufacturière locale, principalement par la confection de tissus imprimés appelés « indiennes » échangés en Afrique contre des esclaves déporté·e·s dans les plantations esclavagistes des Amériques pour la production de biens réimportés en Europe (tabac sucre, café, coton, etc.), prennent enfin place dans un musée neuchâtelois. Une cartographie passionnante est dressée des bâtiments et institutions construits et payés par des familles actives dans le commerce international. 

Nombre de fortunes exceptionnelles issues du commerce triangulaire ont été léguées à la ville. Le MAHN explique désormais : « De nombreux Neuchâtelois ont fait fortune grâce au commerce international aux 18e et 19e siècles. Plusieurs d’entre eux ont aussi été impliqués, […] dans la traite négrière et l’esclavage : par la possession de plantations, dont l’économie est étroitement liée à l’esclavage ; par le service étranger en faveur de puissances coloniales et la répression de révoltes d’esclaves ; par le financement d’expéditions négrières ; par le négoce de produits de traite, principalement des indiennes ; des Neuchâtelois sont également à la tête d’indienneries à Nantes, premier port négrier français. »

Les tenant·e·s d’une critique de ce passé colonial et esclavagiste se faisaient taxer il y a deux ans encore de «révisionnistes». Le retournement est énorme. 

En miroir, la dernière salle aborde l’immigration plus récente et les politiques xénophobes des 50 dernières années dans notre pays. L’exposition est le fruit d’une collaboration entre arts plastiques et appliqués, numismatique et histoire. Le résultat est réussi malgré la reprise du mythe de la vocation humanitaire. Mouvements marque la victoire d’une historiographie contemporaine contre l’hagiographie ancillaire des grands aristocrates bienfaiteurs de Neuchâtel.

La statue de Pury reste, mais deux œuvres l’atténuent

Le combat pionnier que nous avions accompagné contre le symbole véhiculé par la statue de David de Pury qui trône au centre-ville plane en arrière-fond de cette exposition. Le négociant esclavagiste actif à Marseille, Londres et Lisbonne avait légué sa fortune à la ville – l’équivalent de 300 millions de francs actuels. Faut-il l’enlever de sa place et de son piédestal, comme la gauche antiraciste le demande, ou la garder comme témoin des crimes qui ont bénéficié à la ville ? Pour l’instant, la statue et le nom de la place restent mais seront accompagnés de deux œuvres, l’une plastique qui pastiche la chute du buste du scientifique raciste Agassiz à Stanford, la seconde sous forme d’installation lumineuse et sonore pour commémorer chaque nuit les victimes de l’esclavage.

Des décennies de luttes politiques, de recherches historiques et de mobilisations diverses trouvent un premier aboutissement dans l’exposition permanente réussie du MAHN. Nous serons attentifs à ce que ce ne soit qu’un début et nous sommes ravi·e·s de constater que l’Université et certain·e·s historien·ne·s annoncent qu’elles participeront au débat mémoriel sur les rapports coloniaux et post-coloniaux. Les accapareurs esclavagistes d’hier sont les ascendants, souvent au sens généalogique strict, des maître·sse·s du négoce international et de l’exploitation des travailleurs·euses du monde entier organisés depuis la Suisse. Notre travail de mémoire est un combat anticapitaliste et de solidarité internationaliste.

Dimitri Paratte