Une loi-muselière antidémocratique issue d’un parlement réactionnaire

Une loi-muselière antidémocratique issue d’un parlement réactionnaire

Nous publions ici des extraits d’une contribution d’Eric Decarro concernant le projet de loi de la droite genevoise contre le droit de manifester (PL 9162). Il s’agit d’un texte de travail – disponible dans son intégralité sur notre site – qui prépare la réunion du 16 mars prochain, à 20h à la Maison des associations, convoquée pour mettre en route la large campagne nécessaire pour barrer la route à cette offensive contre nos droits démocratiques et poursuivre la mobilisation contre l’inculpation d’Olivier de Marcellus.

  1. Le projet de loi déposé par les partis de droite et d’extrême droite est liberticide: par ce projet, ces milieux tentent de remettre en cause les libertés démocratiques fondamentales que sont la liberté de manifester et de se réunir sur le domaine public pour exprimer des opinions ou des revendications. Sous prétexte de «lutte contre les casseurs», ces partis s’attaquent à des droits démocratiques qui sont le bien de toutes et tous. Il est évident que si cette loi devait passer, son caractère anti-démocratique pourrait encore être aggravé par le contenu du règlement d’application, dont l’adoption est de la compétence du gouvernement.Ce projet de loi renforce sur toute la ligne le pouvoir du Département de justice, police et sécurité, le département chargé du «maintien de l’ordre public», au détriment de l’exercice des libertés publiques; il renforce en particulier le pouvoir du DJPS (ou lui donne nouvellement le pouvoir):
    • de refuser la délivrance d’une autorisation de manifester sur la voie publique, au nom «du danger qu’elle peut représenter pour l’ordre public».
    • de refuser, en particulier, la délivrance de l’autorisation en fonction du «thème intellectuel» de la manifestation.
    • de subordonner la délivrance d’une autorisation à des conditions fixées par lui-seul.
    • de fixer seul les modalités de la manifestation, en particulier le lieu, l’itinéraire, la date et l’heure de début et de fin de la manifestation, en tenant compte des intérêts privés (commerçants, particuliers) et publics (circulation, trafic TPG, accès aux hôpitaux) en présence.
    • de retirer une autorisation ou en modifier les conditions si la «menace pour l’ordre public se modifie en raison de circonstances et de fait nouveaux».
    • de décréter irrecevables les demandes d’autorisation qui n’auraient pas respecté toutes les conditions fixées dans le projet de loi, en particulier le délai d’au moins 30 jours pour présenter une demande.
    • d’interdire et de réprimer toutes les manifestations ou réunions sur la voie publique qui n’auraient pas été autorisées, ou dont la demande aurait été jugée irrecevable.
    • d’interdire et de réprimer toutes les manifestations ou réunions sur la voie publique pour lesquelles les organisateurs n’auraient pas sollicité, ou pas sollicité en temps voulu, une demande d’autorisation.
    • d’interdire et de réprimer toutes manifestations ou réunions sur la voie publique portant sur des thèmes déterminés, sur la base d’une évaluation de la menace qu’ils sont censés représenter pour l’ordre public (corrélation entre le thème intellectuel de la manifestation et les troubles possibles: avec une telle clause, les manifestations sur les thèmes altermondialistes qui critiquent la globalisation néo-libérale et les tendances croissantes à la domination et la guerre pourraient se voir systématiquement interdites, sous prétexte des risques d’actions «de casse» de la part d’une infime minorité).
    • Ce projet ouvre toute grande la porte à l’arbitraire policier et bureaucratique au détriment des libertés citoyennes. On va de plus conférer un pouvoir accru à un département qui s’est illustré par son incompétence lors des événements du G8, qui a délibérément choisi de laisser faire les casseurs lors de la nuit du 31 mai au 1er juin, qui a tenté de couvrir l’agression policière totalement injustifiée de Cornavin et le tir à bout portant, avec une arme non-autorisée, sur une syndicaliste le 29 mars, lors de la manifestation contre l’OMC.
  2. Avec une telle loi, toute manifestation ou réunion sur la voie publique serait à priori considérée «comme un danger pour l’ordre public». Ce qui signifie que l’exercice des libertés démocratiques fondamentales serait tendanciellement de plus en plus subordonné au critère du «maintien de l’ordre public», ainsi érigé en objectif suprême.
  3. Ce projet de loi soumet l’exercice du droit de manifestation et de réunion sur la voie publique à des conditions pratiquement irréalisables, disproportionnées, ou totalement inacceptable du point de vue des principes démocratiques (présentation d’une demande d’autorisation au moins 30 jours à l’avance, assorties de conditions à remplir dans le même délai; conclusion par les organisateurs d’une assurance responsabilité civile, service d’ordre subordonné à la police, responsabilité personnelle des organisateurs pour des dommages matériels dont ils ne sont nullement responsables, etc.); il rendrait ainsi quasiment impossible l’organisation de manifestation sur la voie publique pour exprimer des revendications ou opinions, et donc l’exercice des droits fondamentaux.
  4. Ce projet de loi vise à soumettre le service d’ordre des organisateurs/trices de manifestations à la police; à travers une telle clause, il tend à subordonner les organisateurs de manifestation à la police et à en faire des rouages du maintien de l’ordre. Ceci est une restriction inadmissible des libertés démocratiques, qui supposent la liberté d’exprimer son opposition à des mesures ou des politiques.
  5. Ce projet de loi légalise des pratiques incompatibles avec les principes d’un Etat de droit en matière de respect des libertés personnelles et de protection de la personnalité (autorisation de rendre publics des films ou du matériel photographique, pour identifier les personnes soupçonnées d’avoir commis un délit dans le cadre d’une manifestation, en violation de la présomption d’innocence, appel à la délation).
  6. Ce projet de loi tend enfin à «criminaliser» les organisateurs d’une manifestation ou d’une réunion sur la voie publique. Il vise en particulier à leur imputer personnellement la responsabilité des dommages matériels survenus pendant ou en marge d’une manifestation. En cas de troubles, lesquels peuvent être provoqués par une poignée de provocateurs, les organisateurs seraient ainsi à priori en position d’accusés et devraient faire la preuve devant les autorités policières et judiciaires qu’ils ont tout entrepris pour éviter la survenance de dommages et de troubles. Par-delà les organisateurs, pris individuellement, il est évident que c’est l’ensemble d’un mouvement qui peut être visé à travers ces mesures répressives, qu’elles soient policières ou judiciaires.

Eric DECARRO


Le mouvement altermondialiste est en première ligne dans le collimateur, mais d’autres mouvements, comme le mouvement syndical, sont aussi visés par ce projet de loi. En Suisse, comme dans les autres pays, les tendances répressives (policières, administratives ou judiciaires) à l’encontre des libertés syndicales tendent à se renforcer. On citera ici:

  • l’attaque des membres du piquet de grève par des policiers en tenue anti-émeute lors de la grève d’Allpack, dans le canton de Bâle-campagne: cette agression contre un piquet de grève constitue une première en Suisse, depuis de nombreuses années; à cette occasion, la police a fait usage de violence contre des personnes qui ont opposé une résistance purement passive et plusieurs de ces dernières ont été blessées.
  • la condamnation récente du syndicat CoMedia par la justice vaudoise, en relation avec la grève des Presses Centrales à Lausanne; ce syndicat a ainsi été condamné à payer des dommages et intérêts à l’Agefi sous prétexte que la parution de ce quotidien économique a été retardée par la grève. Ceci est une première en Suisse et c’est le droit de grève qui est ainsi frontalement attaqué.
  • la condamnation récente par la justice vaudoise de syndicalistes lausannois à des peines de prison de plusieurs jours avec sursis, pour avoir détourné le cortège du 1er mai afin de se rendre devant les Presses centrales pour y manifester en faveur des libertés syndicales. Cette condamnation fait suite à une plainte pour dommages et intérêts déposée par les Transports publics lausannois, au motif du retard que ce détournement aurait occasionné au trafic des TL (il est clair que la formulation du projet de loi légaliserait ce type de répression à l’encontre du mouvement syndical, à Genève aussi).

(ed)


Ce projet de loi s’inscrit dans le cadre des tendances répressives croissantes qu’on constate dans tous les pays dans le contexte de la globalisation néo-libérale, et des attaques que celle-ci suppose aux conditions de vie et aux intérêts sociaux des salarié-e-s et de toutes les personnes qui vivent de leur travail (paysans, etc.). Ainsi, non seulement les milieux dominants remettent en cause le modèle de relatif compromis social qui a eu cours en Suisse, comme dans les autres pays capitalistes industrialisés, jusqu’aux années 90, mais ils s’attaquent de plus en plus, désormais, aux droits démocratiques et aux libertés syndicales qu’ils ont dû concéder dans le contexte de l’après-guerre et de la défaite du fascisme.

Il s’agit là d’une tendance que nous pouvons observer non seulement à Genève et en Suisse, mais aussi dans le monde entier. Désormais, toutes les réunions des milieux dominants (sommets du G8, de l’OMC, du FMI, de la Banque mondiale, ou de l’OTAN, sommet de Union Européenne, World Economic Forum de Davos) sont l’occasion de déploiements sans précédents de forces policières et militaires. Dans le contexte du chômage et de problèmes sociaux croissants, de la montée de la pauvreté et des inégalités sociales, de tendances à la guerre et à la domination, on constate partout la montée de ces tendances répressives et liberticides.

Ce n’est dès lors certainement pas un hasard si les milieux dominants de ce canton, représentés avant tout sur le plan politique par le parti libéral, des milieux fortement liés à l’activité bancaire privée et à la gestion de fortune, aux milieux patronaux et aux milieux d’affaires, et donc très intégrés dans la globalisation capitaliste (laquelle privilégie à tous les niveaux la rentabilisation des énormes masses de capitaux accumulées), sont aujourd’hui à la pointe de ces tendances répressives en Suisse et se montrent particulièrement agressifs dans ce sens.

(ed)