Chine

La colère se déconfine

Ces dernières semaines, la Chine a connu ses plus grandes manifestations nationales depuis des décennies. Elle ont été déclenchées par le choc provoqué par la mort d’individu·e·s majoritairement ouïghours dans l’incendie d’un immeuble résidentiel dans le Xinjiang. Les mesures de confinement rigides avaient empêché l’arrivée rapide des secours.

Des manifestants tiennent des feuilles blanches pour protester contre les mesures zéro-covid, Pékin
Pékin, 27 novembre 2022

Le mécontentement profond à l’égard des politiques chinoises en matière de pandémie, qui privent souvent les gens de leurs droits fondamentaux, comme l’accès aux produits de première nécessité et les obligent à se reloger en masse dans des conditions dangereuses, n’a cessé de s’accroître au niveau local ces dernières années.

Le symbole de l’usine Foxconn

Ce mécontentement ne peut pas être simplement comparé aux manifestations de droite contre le confinement dans les pays occidentaux. La façon dont les mesures de confinement ont été déployées par l’usine Foxconn dans la ville de Zhengzhou – où sont produits la plupart des iPhones du monde – donne un aperçu du problème des politiques de l’État chinois en la matière. Avec l’approbation du gouvernement, Foxconn a utilisé les fermetures comme prétexte pour maintenir les travailleurs·euses dans les usines, sans contrôle adéquat des infections, sans nourriture et autres fournitures de base. Durcissant encore les conditions de travail que le volume de production exigé par Apple impose. En octobre dernier, des travailleurs·euses se sont échappé·e·s de l’usine et ont fui à pied, aboutissant à une manifestation réprimée par des centaines de policiers anti-émeutes. Quelques jours après, les mobilisations de masse ont commencé.

Du jour au lendemain, les manifestations isolées contre le confinement se sont transformées en mobilisations de masse spontanées dans tout le pays mais aussi à l’étranger, notamment parmi les communautés chinoises et ouïghoures. Plus important encore, cela a été une occasion rare de s’attaquer collectivement aux problèmes structurels plus profonds du système politique chinois. Des manifestant·e·s de différentes obédiences idéologiques ont débattu dans la rue et en ligne de la possibilité de réformer le PCC et des revendications à élaborer.

L’action de masse a permis de remporter une première victoire importante : les gouvernements locaux ont commencé à assouplir les politiques de lutte contre la pandémie avec la même vigueur qu’ils les avaient promues quelques semaines à peine auparavant. Mais le combat est loin d’être terminé. Au cours de la pandémie, la Chine a réduit les ressources consacrées aux infrastructures pour le traitement du Covid, comme les hôpitaux et le soutien aux personnel médical, pour les attribuer aux tests massifs et aux mesures de confinement inefficaces. L’abandon soudain du système «zéro-Covid» à laissé la population à son sort, alors que les cas explosent et que les données restent peu fiables et opaques. 

Déconfinement de l’acumulation

Nous devons replacer ces problèmes dans le contexte du développement politique et économique de la Chine au cours des dernières années. Le gouvernement chinois, soutenu par une élite capitaliste bureaucratique qui n’a pas de solution viable à offrir long terme aux malheurs de la population. L’autre facette du « miracle économique » chinois est la croissance massive d’une classe prolétaire hyperexploitée. Le travail précaire s’est aussi largement développé pendant la pandémie, comme le secteur de l’économie de plateformes, alors que davantage de services sociaux sont privatisés. 

Pour la première fois depuis des années, le taux de croissance du pays a ralenti, en partie à cause des politiques de «zéro-Covid». En ce sens, la volte-face de la Chine sur ses politiques de confinement peut être considérée comme un moyen de relancer l’accumulation de capitaux par les élites dirigeantes.

Les manifestations de masse ont marqué l’avènement d’une nouvelle génération de militant·e·s. Les luttes récentes, comme le Plaidoyer international sur le traitement répressif des Ouïghours et d’autres groupes ethniques non-Han par la Chine, les campagnes #MeToo menées par les féministes dans la société civile, le soulèvement de Hong Kong en 2019-2020, mais aussi le mouvement de Tiananmen en 1989, servent toutes de points de référence pour de nombreux manifestant·e·s. 

Cependant, il existe peu de mouvements et d’organisations démocratiques et indépendants récents dotés d’une vision politique claire, qui pourraient servi d’inspiration. Nous ne devons pas oublier que les conditions de l’activité politique sont toujours périlleuses. Des cas de disparition de manifestant·e·s en garde à vue persistent, comme celui du militantx LGBTQ+ Dianxin à Guangzhou. Mais ce qui est essentiel, c’est que les manifestations récentes représentent un changement rare de la conscience politique de la société civile, révélant le potentiel d’une action et d’une organisation de masse indépendantes.

Les anticapitalistes doivent soutenir les revendications fondamentales des manifestant·e·s, notamment en faveur des réformes démocratiques et pour le droit à l’autodétermination des Ouïghours et des autres groupes ethniques non-Han. Nous devons encourager les expressions d’auto-organisation qui émergent du mécontentement de masse, comme les grèves des étudiant·e·s en médecine et d’autres travailleurs·euses chinois·es ou les efforts des féministes installées à l’étranger pour organiser des espaces de protestation plus inclusifs reliant les Chinois·es, les Ouïghours et d’autres groupes ethniques. Nous devons également intégrer le rôle que joue l’État chinois et ces les liens avec les capitaux occidentaux dans nos campagnes internationalistes.

Promise Li