Turquie

Erdogan sous le feu des critiques après le séisme

Quelques semaines après le tremblement de terre meurtrier en Turquie qui a fait plus de 40 000 mort·e·s dans le pays, les critiques publiques à l’encontre du gouvernement de Recep Tayyip Erdogan ne cessent d’augmenter.

Femmes rassemblées pour commémorer le tremblement de terre en Turquie
Rassemblement en ouverture de l’Assemblée des femmes du parti HDP, Istanbul, 26 février 2023

La fronde porte sur deux éléments principaux. Premièrement, la réponse aux tremblements de terre a été considérée par beaucoup comme insuffisante et inadéquate. De nombreux bâtiments effondrés ont été laissés sans surveillance et les gens se sont retrouvés sans électricité, sans eau et sans nourriture. Les équipes de secours manquaient d’équipement, d’expertise et de soutien pour venir en aide aux personnes piégées sous les décombres. 

Affaiblissement des institutions publiques

L’une des raisons à cette situation est l’affaiblissement continu de l’Autorité turque de gestion des catastrophes et des urgences (connue sous l’acronyme AFAD), qui est l’institution responsable de la recherche, du sauvetage et de l’approvisionnement de vivres en cas d’urgence. Ses effectifs et son personnel ont été réduits, diminuant considérablement son efficacité et sa capacité à mener des opérations de recherche et de sauvetage. En outre, de nombreux groupes de recherche et de sauvetage spécialisés et bénévoles n’ont pas pu apporter leur aide parce qu’ils ne pouvaient pas obtenir de certification de la part de la bureaucratie pro-AKP, le parti d’Erdogan. 

Ce n’est pas la première fois qu’Ankara est dénoncée pour son incapacité à faire face aux catastrophes naturelles. Le gouvernement turc a déjà dû affronter d’importantes critiques concernant sa mauvaise réaction et son manque de préparation face au précédent tremblement de terre dans la région d’Izmir en 2020, et aux incendies de forêt à grande échelle en 2021.

Politique de construction sans sécurité

La deuxième source de colère s’est concentrée sur la mauvaise construction des bâtiments effondrés, laissant des dizaines de milliers d’habitant·e·s pratiquement sans aucune chance de survie.

Dans les régions touchées par le tremblement de terre, la construction de bon nombre des bâtiments effondrés, anciens et nouveaux, a été sous-traitée via des appels d’offres de l’État sous le gouvernement AKP ; il s’agissait notamment d’institutions publiques, des bâtiments de l’AFAD et des hôtels de ville.

À la suite du tremblement de terre de 1999, le gouvernement a commencé à percevoir des « taxes sismiques » destinées à renforcer la résistance et la préparation du pays aux tremblements de terre. Des nombreuses voix accusent le gouvernement turc de mauvaise gestion et de corruption dans l’utilisation des milliards collectés. Au lieu de garantir la sécurité, les taxes ont financé des projets du gouvernement AKP pour réaliser des gains politiques et enrichir des entrepreneurs progouvernement.

Cela représente plus d’une décennie de développement rapide de l’industrie de la construction combinée au copinage, en particulier des mégaprojets tels que deux nouveaux ponts sur les détroits du Bosphore et des Dardanelles, un nouvel aéroport massif dans la banlieue d’Istanbul et un nouveau palais présidentiel. Dans les régions touchées par les tremblements de terre, le gouvernement turc a délivré des centaines de milliers d’exemptions aux normes de sécurité parasismiques pour la construction de logements sociaux.

En réponse à ces critiques croissantes, Ankara a tenté d’apaiser la colère tout en recourant aux tactiques répressives habituelles pour faire taire les critiques. Les autorités turques ont émis plus de 130 mandats d’arrêt à l’encontre d’entrepreneurs liés à des bâtiments effondrés, dans le but de détourner la responsabilité et de donner l’impression de prendre des mesures contre les responsables de la faiblesse des infrastructures. En outre, le président turc a promis que des logements sociaux seraient construits pour tou·te·s les survivant·e·s dans un délai d’un an et a alloué 10 000 livres turques (494 euros) à chaque famille touchée.

Dans le même temps, le gouvernement turc a tenté de faire taire toute forme de critique, notamment de la part des journalistes, par le biais d’interdictions, de détentions et d’enquêtes, tout en bloquant l’accès à Twitter et TikTok pendant certaines périodes. 

Menace sur le pouvoir d’Erdogan

Le gouvernement dirigé par l’AKP est conscient que de nouvelles critiques et la colère du public concernant sa mauvaise gestion de la réponse au tremblement de terre pourraient affaiblir ses chances de réélection – a priori en mai 2023 si les élections ne sont pas repoussées. Le pays est confronté à la crise économique la plus grave depuis l’arrivée au pouvoir de l’AKP en 2002, avec une inflation de plus de 80 % en glissement annuel, une chute de 30 % de la livre par rapport au dollar l’année dernière et un déficit de la balance courante du pays atteignant près de 5 % du PIB.

Joseph Daher