État social ou workfare pour les désaffiliés sociaux
État social ou workfare pour les désaffiliés sociaux
Laide sociale, droit constitutionnel, fait partie du progrès social et de la solidarité complétant ainsi notre système de sécurité sociale, fondement de létat social.
La politique sociale genevoise néchappe aux coupes budgétaires dans les dépenses sociales. Cest bien là quil faut rester attentif à la sémantique utilisée car elle est porteuse de lidéologie néolibérale. Cette dernière sert les intérêts du capitalisme sauvage des multinationales ayant des incidences immédiates sur le quotidien local des citoyen-ne-s. Les porteurs de cette pensée néolibérale impulsent une nouvelle définition dintervention sociale constituée de deux approches:
- évaluer si lindividu est méritant en le soumettant à des valeurs jugées normatives par lautorité comme par exemple lhabillement, les murs, la formation, etc.
- mettre lindividu dans une position dobligé envers la société, celle-ci lestimant peu responsable de sa situation de précarité en lui rappelant quil ne doit pas sinstaller dans le système.
Par ces deux concepts, lautorité politique légitime une série de révisions législatives touchant aide sociale et emplois temporaires. La première phase débute par une réduction du concept dintervention sociale à un aspect uniquement économique et de retour à lemploi par des mesures de réinsertion et dincitation au travail, dans une logique néo-conservatrice moralisante. Les contre-prestations voulues pour le Revenu Minimum Cantonale dAide Sociale (RMCAS), et dans le projet avorté de loi de revenu minimum de réinsertion (RMR), en sont la caricature.
Le conditionnement dun droit constitutionnel à laide sociale renforce le sentiment de faute de lindividu dans sa situation. Elle découle dun vent doutre-atlantique, le «workfare» [en opposition au welfare – dénomination des prestations sociales traditionnelles ndlr] que lon retrouve:
- dans les sanctions aux chômeurs-euses obligés à une contre-prestation par leur participation à des mesures de réinsertion sous peine de perdre leurs droits dans un marché de lemploi asséché.
- dans la diminution, voire la suppression du droit aux prestations RMCAS lorsque la personne refuse une contre-prestation.
En Amérique du Nord, un enfant né alors que la mère est dans un programme de workfare ne sera pas pris en compte dans laide attribuée.
Le workfare se résume à un conditionnement de laide sociale à un comportement défini par lautorité.
Sil est essentiel de réaffirmer que lindividu à le devoir de tout mettre en uvre pour diminuer le risque, il a aussi des droits. Cest bien ces droits que la politique néo-libérale attaquent par la destruction du contrat de citoyenneté, renvoyant chacun à sa responsabilité individuelle. Ne portons-nous pas une responsabilité collective de ne pas avoir adapté notre législation sociale à lévolution de réalités de notre société?
Les exemples sont multiples:
- labsence de protection assurancielle pour les femmes divorcées éduquant seules des enfants.
- Labsence de place de travail pour les femmes regagnant le marché de lemploi après avoir élevé des enfants.
- La perception de salaires insuffisants pour assumer des conditions de vie décente.
- Les licenciements afin de servir de meilleurs dividendes aux actionnaires.
- Les diverses formes de flexibilisation et de déréglementation des contrats de travail ne permettent plus daccéder à lassurance chômage ou à une couverture perte de gain maladie, qui par ailleurs nest pas encore obligatoire en Suisse. etc.
Ces quelques exemples sont massivement présents dans le 3% de la population genevoise assistée.
Diminuer lattractivité supposée de laide sociale par rapport au monde salarial en décourageant les bénéficiaires par des mesures coercitives de contrôles humiliantes cest les inciter à accepter des emplois précaires. En période de chômage structurel cette politique garanti une main duvre corvéable à merci tout en augmentant la compétitivité des entreprises. Ceux qui acceptent cette nouvelle «éthique» du travail sont jugés méritants. Un tel cynisme dans la mise en place de politique conduit forcément ceux qui la vivent à linsécurité. Dans cette «société en sablier», comme la appelée Alain Lipietz, la précarité remonte vers ceux qui sont «juste au-dessus du col», ce qui diffuse le sentiment dêtre «les prochains à y passer», à basculer du côté des exclus. Linsécurité est liée à ce sentiment dêtre attiré vers le bas, dans un mouvement qui nous échappe. Une des conséquences est le repli sur soi (ou sa «tribu») faisant ainsi le nid du populisme.
La dernière phase consiste à mettre en place les outils de contrôle:
- Restriction des ressources disponibles par la diminution des rentrées fiscales.
- Projet de loi dharmonisation des barèmes daccès aux prestations sociales avec une hiérarchie dans lesquels ils doivent être demandés.
- Enquêtes auprès des bénéficiaires daide sociale confrontés à des contrôles humiliants, type nombre de brosses à dent dans la salle de bain.
Ces projets politiques nont aucune efficacité puisque conduisant à un transfert de charge vers lassurance maladie puis lassurance invalidité. La précarité de la condition humaine conduit à somatiser, puis rendre chroniques des situations dexclusion économique et sociale.
Un autre projet est possible, par la promotion de mesures daccompagnement du type formation qualifiante, salaire minimum au niveau fédéral, sanction à lencontre des employeurs licenciant sans juste motif. Ceci implique des investissements financiers permettant un projet de vie pour chacun sur le long terme.
Sopposer aux projets de modifications législatives sont les fondements dune lutte solidaire de principe car les partis bourgeois sattaquent, comme tout guerrier dans un monde économique hostile, dabord aux plus fragiles.
Jean-Daniel JIMENEZ