Turquie

Au Kurdistan turc, une société en lutte pour la liberté!

Les élections locales du 31 mars en Turquie ont été un camouflet pour Erdogan. Invité·es par le parti de gauche kurde DEM (ex-HDP), nous étions sur place au Kurdistan avec plus de 120 camarades européen·nes pour observer le processus électoral et rencontrer les camarades kurdes en lutte.

Meeting électoral du parti DEM lors des élections municipales en Turquie
Meeting électoral du DEM et célébration de Newroz à Urfa, sud-est de la Turquie, 23 mars 2024
DEM

Devenu expert à contrer les manœuvres de triche électorale de l’AKP, le parti du président Erdogan, le DEM invite depuis une dizaine d’années des observateur·ices d’organisations amies européennes afin d’observer les élections. C’est une façon pour le parti de mettre sous pression les officiels locaux et de garantir, en Europe, un écho aux enjeux électoraux et plus largement à la lutte pour l’autodétermination kurde. 

Les Kurdes sont l’un des plus grands groupes ethniques minorisés du Moyen-Orient. Iels sont présent·es dans quatres États de la région: la Turquie, la Syrie, l’Iran et l’Irak. En Syrie et en Turquie, leur inspiration politique principale se fonde sur le paradigme du «confédéralisme démocratique» de Abdullah Öcalan, une forme de municipalisme libertaire qui repose sur trois piliers: démocratie directe, écologie et féminisme.

Un urbicide

Notre séjour a démarré à Diyarbakir, ville considérée comme la capitale du Kurdistan. En août 2015, après une escalade d’offensives contre les Kurdes par l’État turc et «l’État Islamique», plusieurs villes du Kurdistan se soulèvent et déclarent leur autonomie, emmenées par des organisations armées affiliées au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). À Diyarbakir, l’insurrection se met en place à Sur, le centre-ville historique à majorité populaire kurde. Quelques mois plus tard, la puissante armée turque, seconde armée de l’OTAN par sa taille, lance l’offensive. Elle pilonne nuit et jour la vieille ville avec son aviation. La détermination de la jeunesse kurde en armes ne suffira pas face à la puissance de l’armée. La vieille ville, à moitié rasée, est reprise par l’État turc. Depuis, l’État turc est présent en force à Sur, la police et les blindés sillonnent les rues et surveillent les intersections. Les habitant·es des quartiers populaires kurdes votant à majorité pour le parti DEM ont été expulsé·es et les quartiers sont petit à petit reconstruits. 

Spoliation et répression

C’est dans cette ville à moitié reconstruite à neuf que nous avons rencontré les camarades du DEM à notre arrivée. Les élections locales étaient dans toutes les têtes, les murs, les camions qui passent dans les rues avec des haut-parleurs, les drapeaux triangulaires à l’effigie des différents partis qui pendent dans les rues. Pour le DEM l’enjeu est de taille, les municipalités représentent le premier échelon du paradigme politique, là où la démocratie locale se met en place. C’est l’endroit où se vit la pratique politique locale, où s’organisent et s’émancipent les habitant·es. 

Le régime l’a bien compris et depuis 2016, quelques mois après leur élection, il destitue systématiquement toutes les co-maires du DEM (dans le paradigme politique kurde, tous les postes à responsabilité sont dédoublés et tenus par une femme et un homme) et les remplace par un administrateur, kayyum. Sur 102 co-mairies DEM élues en 2019, seules 4 étaient encore en place lors de la tenue des élections de mars 2024. Parallèlement à leur destitution, la plupart des co-maires font face à des charges de «collusion avec les terroristes», et passent avec ou sans procès plusieurs mois en prison. Le précédent maire de Diyarbakir élu en 2019 a ainsi été condamné à 9 ans de prison. Sa prédécesseuse élue en 2014 a, elle, été condamnée à 14 ans de prison.

Fraudes et manipulations

En plus de sa répression contre les élu·es et cadres du DEM, le régime organise diverses fraudes électorales à l’aide de ses forces de sécurité. En amont des élections et en fonction des résultats des élections précédentes, l’État déplace le domicile de militaires et policiers vers des districts à gagner et influencer les résultats en faveur de l’AKP. Ainsi, à Kulp dans les montagnes, nous avons pu constater l’amoncellement de centaines de noms aux adresses de petits commissariats ou casernes sur les listes électorales. 

Ces manœuvres n’ont heureusement pas réussi dans tous les districts où elles se sont déroulées mais ont par exemple abouti dans la ville de Sirnak, l’un des berceaux de l’insurrection de 2015, où l’AKP a réussi à voler l’élection. Selon les premiers chiffres et analyses des camarades observateur·rices, un tiers des votes pour l’AKP ont été le fait de forces de sécurité déplacées sur place.

Les élections du 31 mars ont de manière générale été victorieuses que ce soit pour le DEM dans les parties kurdes de la Turquie ou pour le CHP, opposition centriste à Erdogan, dans le reste de la Turquie. La lutte électorale du DEM n’est que complémentaire à la force de la société kurde dans la rue et c’est unies qu’elles triomphent. 

Aujourd’hui, comme hier et demain, luttons contre le régime fasciste turc et Biji Kurdistan, an serkeftin an serkeftin!

Délégation de SolidaritéS Vaud au Kurdistan turc