Tamedia fauche la presse romande !
En septembre, l’entreprise Tamedia annonçait une nouvelle attaque contre la presse suisse-romande. La méga-entreprise de médias fauche les journaux locaux et mettra à la porte une quarantaine d’employé·es en Suisse romande. Interview de Cathy Macherel, journaliste de La Tribune de Genève et membre de la Coordination des rédactions qui défend les intérêts du personnel des rédactions.
Quel est l’impact de la restructuration annoncée par Tamedia en août dernier ? Pourquoi Tamedia restructure-t-elle l’entreprise ? Quels sont ses objectifs ?
Tamedia a annoncé en août son intention de supprimer près de 290 postes équivalents temps plein (ETP), suppressions qui touchent les imprimeries, avec la fermeture de deux sites sur trois (Bussigny et Zurich), ainsi que les rédactions.
Dans les rédactions, après un décompte revu, c’est finalement 25 ETP en Suisse romande qui vont disparaître, ce qui signifie 40 personnes touchées. Auxquelles s’ajoute la suppression de postes de collaborateur·ices extérieur·es. Pour donner une idée de l’ampleur, c’est une personne sur quatre qui est concernée par cette restructuration. L’entreprise a décidé de procéder à cette coupe sévère une année seulement après un coup de sabre qui avait déjà durement touché les effectifs et affaibli les titres. La direction a expliqué publiquement qu’il est nécessaire de faire de nouvelles économies et entend ajuster les effectifs à une nouvelle structure en gestation.
Comment avez-vous réagi avec vos collègues face à l’annonce récente de suppression de 25 postes en Suisse romande et la fusion des trois journaux romands ?
Ces annonces ont fait l’effet d’une déflagration dans les rédactions pour plusieurs raisons. Il y a bien sûr l’ampleur des coupes. Les gens se font évidemment du souci pour leur emploi, mais pas seulement : ils s’inquiètent surtout de l’avenir des titres, car ceux-ci se voient dotés de moins en moins de personnel pour produire des contenus.
À force de trancher dans les effectifs, on ne pourra plus produire un journalisme de qualité. La logique d’économies risque de transformer les titres en produits hors-sol, déconnectés du terreau local. Dans un monde global où l’information s’est démultipliée, nous pensons qu’il faudrait au contraire renforcer les points de vue locaux.
Comment les journalistes et employé·es de Tamedia s’organisent et se mobilisent face à ces annonces ?
Nous essayons de dialoguer avec la direction pour tenter de la faire changer de cap, mais ce n’est pas facile, car ce qui frappe dans le projet de réorganisation, c’est que celles et ceux qui font les journaux au quotidien n’ont pas été consulté·es. Pour qu’un nouveau modèle fonctionne, dans toute entreprise, il faut se soucier de l’adhésion collective, savoir écouter, réajuster, et ce travail n’a malheureusement pas été fait en amont des annonces par la nouvelle direction à Zurich.
Côté mobilisation, le plus important est de faire comprendre au public que nous ne nous battons pas seulement pour nos emplois, il y a bien d’autres secteurs qui souffrent. Mais l’information n’est pas un bien comme un autre : si les journaux disparaissent, c’est un pilier de la démocratie qui s’effondre. Dans l’une de nos mobilisations de rue, à La Tribune de Genève, nous avions écrit ce slogan sur l’une de nos affichettes : « Sans nous, qui parlera de vous ? »
Quelles sont les revendications de la mobilisation ?
Nous nous battons sur plusieurs plans. Nous demandons que la direction de Tamedia revoie son projet, et revienne à des intentions plus raisonnables. Tamedia, la branche médias de TX Group, connaît des problèmes de rentabilité, mais TX Group, lui, ne se porterait pas aussi bien sans la vitrine que sont ses médias. Il y a un intérêt commun à résoudre la crise des médias, mais nous divergeons sur le chemin à emprunter. D’un côté, des réponses technocratiques pour rationaliser les flux de production, de l’autre la conviction qu’il faut renforcer un journalisme de proximité, ce qui exige un minimum de moyens humains. Nous nous battons également pour les futurs licenciés. Nous demandons que le plan social, de loin pas assez généreux, soit revu à la hausse.
Quel sera l’impact sur la presse romande de la fusion des journaux 24 Heures, Le Matin et Tribune de Genève ?
La direction de Tamedia a décrété que la marque 24 heures était celle qui a du potentiel en Suisse romande, et va donc désormais concentrer ses investissements sur ce titre. Elle assure que La Tribune de Genève va demeurer une marque d’importance, mais nous nous inquiétons fortement à Genève, car la réorganisation des structures pourrait condamner à terme notre rédaction à n’être plus qu’un bureau régional dépendant de Lausanne. Cela ne veut pas dire pour autant que les Vaudois·es pensent être les « gagnants de l’affaire » : il y a une forte solidarité entre le personnel des rédactions, qui collaborent déjà beaucoup. À 24 heures, la rédaction s’interroge sur les promesses d’investissement dans leur marque, censée partir à la conquête de toute la Suisse romande. Mais avec quels moyens ?
Comment les organisations politiques, syndicales et la population peuvent soutenir la mobilisation du personnel de Tamedia ?
Récemment, quelque 170 personnes du monde de la culture, de l’économie, des sports ont écrit un manifeste pour le maintien d’un journalisme de qualité en Suisse romande. Les politiques, jusqu’aux Conseils d’État de Vaud et Genève, se sont dit très inquiet·es de voir la presse romande s’affaiblir. Les syndicats, ceux spécialisés dans la presse comme Impressum et Syndicom, mais aussi d’autres organismes, se mobilisent et apportent leur soutien. Il est important que ces voix, et la société civile en général, continuent de dire leur attachement à une presse régionale forte et indépendante.
Propos recueillis par Ph K