Catalogne
État espagnol
À Barcelone, les locataires s’organisent contre la spéculation
En Espagne, plus de 735000 expulsions ont été exécutées entre 2008 et 2023. Si le mouvement pour le droit au logement a souvent organisé des manifestations pour s’y opposer, elle ont rarement réussi à rassembler autant de personnes que le rassemblement visant à stopper l’expulsion de Josep, l’un des locataires de la Casa Orsola à Barcelone, vendredi 30 janvier dernier.

Pour comprendre l’ampleur du conflit autour de la Casa Orsola, un immeuble moderniste situé dans l’un des quartiers centraux de Barcelone (Eixample), il faut remonter à octobre 2021. Cet automne-là, le fonds d’investissement Lioness Inversiones achète l’immeuble.
Dès le départ, le plan de cette entreprise, dirigée par un entrepreneur catalan bien connecté avec le patronat et possédant également des entreprises dans le secteur des centres d’appels, était clair: expulser tou·tes les locataires et louer les appartements avec des contrats de courte durée. Offrant moins de garanties que les baux de résidence principale, ceux-ci se sont multipliés à Barcelone ces dernières années, car ils permettent aux propriétaires d’augmenter la rotation des locataires et de faire flamber les prix. Dans le cas de la Casa Orsola, les appartements vidés ont ensuite été loués à un prix trois fois supérieur.
La Casa Orsola s’organise
Lorsque les locataires de la Casa Orsola ont appris que leur bail ne serait pas renouvelé, iels ont décidé de s’organiser. La plupart vivaient dans l’immeuble depuis des décennies et n’étaient pas prêt·es à abandonner leur foyer et leur quartier. Peu après la vente, une assemblée de locataires s’est formée et ses membres ont adhéré au Sindicat de Llogateres (SdL, Syndicat des Locataires en catalan).
Pendant toute cette période, les habitant·es et le syndicat ont exercé des pressions sur le propriétaire de diverses manières pour obtenir de nouveaux contrats: occupation des bureaux de l’entreprise, manifestations devant l’agence immobilière gérant les locations de courte durée, organisation d’une grande fête culturelle et de quartier devant l’immeuble, manifestations dans le quartier, concerts de casseroles, occupation de logements vides dans l’immeuble, adoption de motions par la mairie, etc.
Deux modèles de villes, deux classes sociales
Cependant, Lioness Inversiones a refusé toute négociation et a mobilisé ses propres ressources pour gérer le conflit. L’entreprise a poursuivi en justice tous·tes les locataires dont le bail avait expiré afin de les expulser. Elle a aussi tenté d’attaquer en justice certain·es militant·es et a fait en sorte que le patronat catalan organise une conférence de presse pour criminaliser les habitant·es de la Casa Orsola. Ainsi, lorsque l’expulsion de Josep a eu lieu, le conflit avait largement dépassé un simple cas particulier, et la Casa Orsola était devenue un symbole de la lutte contre la spéculation immobilière à Barcelone.
Le SdL considère cette lutte comme une opposition entre deux modèles de ville, entre deux classes sociales. C’est pourquoi il a organisé un marathon de résistance devant la Casa Orsola dès la veille de l’expulsion.
Cette mobilisation a vu la participation de groupes de musique, de personnalités médiatiques, de collectifs et de plateformes sociales (comme des enseignant·es s’organisant contre les expulsions). L’événement a été retransmis en direct grâce à l’implication de plusieurs coopératives spécialisées dans la communication audiovisuelle. Des centaines de personnes ont passé la nuit devant la Casa Orsola au cas où la police tenterait une intervention anticipée, comme cela arrive souvent lorsqu’une forte résistance est attendue.
Finalement, la commission judiciaire a été contrainte de reporter l’expulsion, car le nombre de personnes présentes était trop important, même pour une intervention de la police anti-émeute.
Une victoire en demi-teinte
Dans les jours qui ont suivi ce premier échec et jusqu’à la date du report, la mairie de Barcelone, dirigée par le Parti socialiste, a été contrainte par la pression populaire d’agir. Le 7 février, la municipalité a annoncé l’achat de l’immeuble.
Cette décision constitue une victoire pour la mobilisation, car les locataires de la Casa Orsola ne seront pas expulsé·es et les logements seront intégrés au parc public. Toutefois, certains aspects restent problématiques. Le SdL et les locataires de la Casa Orsola ont dénoncé le fait que la négociation s’est déroulée dans leur dos, sans les consulter, et que la somme que la mairie va verser (9 millions d’euros) représente un bénéfice de 3 millions d’euros pour l’entreprise par rapport au prix d’achat de 2021. De plus, empêcher les expulsions par l’achat public des immeubles ne constitue pas une solution généralisable.
Cette tentative de conciliation d’intérêts opposés ne s’est pas révélée particulièrement efficace. D’un côté, le lobby immobilier a dénoncé que l’achat de l’immeuble crée une insécurité juridique et pourrait devenir un précédent fâcheux. De l’autre, la première réaction du SdL a été d’organiser une assemblée devant la Casa Orsola, rassemblant des dizaines d’immeubles qui entament eux aussi leur propre combat pour s’organiser et lutter.
Le 5 avril, des manifestations auront lieu dans les principales villes d’Espagne pour défendre le droit au logement et exiger une baisse drastique des loyers.
Oscar Blanco, Anticapitalistas