Hospice général: politique discutable...

Hospice général: politique discutable…

La bourgeoisie, classe dominante depuis l’origine de la société industrielle, s’habille aujourd’hui d’une dimension technocratique cautionnant ainsi l’appareil idéologique d’Etat conduisant ainsi à la normalisation de l’action sociale et l’aide sociale1 par la stigmatisation de l’«exclu».

Dès lors, l’assistant social doit-il répondre à une logique de contrôle impulsé par le politique du «Workfare» ou doit-il être «l’écrivain public» des situations de précarité des populations accompagnées dans le cadre de l’aide sociale?

Aujourd’hui, l’Hospice général (HG), en charge du mandat de l’assistance publique, traite les phénomènes de pauvreté par une approche normative impulsée par l’appareil d’Etat. L’HG a oublié que l’action sociale est d’abord ce qui fait lien entre les sphères politique, économique et domestique. Elle est une action perpétuelle de réglage des tensions entre ces trois sphères. L’HG a donc perdu son autonomie de penser et d’agir pour anticiper l’émergence de la grande exclusion.

Il est admis que, pendant longtemps, l’action sociale intervenait contre la pauvreté liée à la société salariale-industrielle. Cette dernière était liée à un cumul d’inégalités ne permettant pas d’accéder aux même biens de consommations que d’autres classes sociales. L’action sociale restait lisible, car elle était le lieu du compromis de l’Etat social. Elle pouvait palier en partie à ces inégalités par différents outils, car l’activité salariale restait un lien d’intégration sociale. En réalité, le monde du travail s’est métamorphosé pour devenir le centre du conflit social, car il reste une place centrale à plusieurs niveaux: la productivité, la construction des identités individuelles et collectives. Les origines de ce conflit sont doubles: les résultats de l’entreprise et, dans leur sillage, l’incertitude du contrat de travail. Ce conflit a fait naître d’autres formes de questions sociales, qui ne sont plus les rapports de travail, mais l’égalité entre hommes et femmes, les minorités sexuelles, les banlieues, l’immigration, etc. dont la population de l’aide sociale sont les premiers concernés.

Toutefois, la plupart des bénéficiaires de l’aide sociale se sont coupés de l’ensemble de ces nouvelles questions sociales. La disqualification et la désaffiliation sociales, dont les «assisté-e-s» sont stigmatisé-e-s par le discours dominant des institutions fédérales et cantonales, les conduisent à s’exclure des évolutions susmentionnées. Ils sont en rupture de liens sociaux. Il faut donc reprendre toute la question de la citoyenneté politique et arrêter de faire de la politique publique pour les désavantagé-e-s mais la concevoir avec les désavantagé-e-s.

L’action sociale seule ne peut résoudre tous les problèmes, mais la loyauté du travailleur social est posée par ce constat:

  • Soit il est proche du bénéficiaire de l’aide sociale qui peut cumuler plusieurs facteurs de précarisation comme une femme divorcée, d’origine étrangère, élevant seule des enfants, ayant perdu son emploi et en voie d’expulsion de son logement, dont les ruptures en cascade la précipitent dans une chute continuelle sur l’échelle sociale jusqu’à l’exclusion;
  • Soit il est un agent social, acceptant un contrôle social important, ne laissant aucune marge de manœuvre à l’action collective et préventive, agent que l’on peut définir comme apathique, loyal et coopérant avec l’autorité.

La question que doit se poser l’agent social est de savoir si pour insérer ces populations, il doit se limiter à des aspects procéduraux et gestionnaires. S’il a conscience des enjeux de notre société, il peut devenir un des catalyseurs du conflit. Il crée ainsi une situation permettant aux acteurs la mobilisation. Le conflit ne doit pas nécessairement être exacerbé, il s’inscrit aussi dans la défense des intérêts des bénéficiaires de l’aide sociale, dans la promulgation d’idées nouvelles. On ne peut plus reconstruire le lien social à l’éclairage des anciennes représentations et modèles de la société industrielle. C’est à ce stade que la transformation de l’aide sociale mise en place dans les CASS par l’HG pose les questions de fond sur le mode d’intégration que l’autorité veut promouvoir. La mise en place de CASS pilote avec un travailleur social secondé par une assistante administrative démontre l’absence de connaissance du terrain social sur lequel il intervient. On assiste à un bricolage segmenté des situations de paupérisation échappant ainsi à une recherche de régulation des phénomènes de grande pauvreté par des réponses plurielles.

Aujourd’hui, face à la montée des inégalités et la complexité de notre système d’assurances sociales à trois niveaux (fédéral, cantonal et communal), il ne peut y avoir qu’un projet de politique publique à partir du local. Les mieux outillés pour connaître ce «local» sont les assistants sociaux. Nous avons donc la responsabilité de redonner à chaque individu le pouvoir citoyen par la pratique de la démocratie et ainsi de lutter contre l’exclusion. C’est ainsi que l’individu deviendra acteur de sa destinée et, par conséquent, participant à la construction de l’histoire commune.

Le modèle de fonctionnement proposé par l’HG pour l’aide sociale ne fera que renforcer l’absence du travailleur social sur l’espace public pour débattre des problèmes sociaux que rencontrent les individus qu’il accompagne. Aujourd’hui chaque bénéficiaire et chaque agent social est seul face à l’appareil idéologique de l’Etat. C’est en se réappropriant l’Agora que pourront s’élaborer de nouvelles articulations entre l’économie et le politique amenant ainsi une nouvelle forme sociale de société. Nous avons toujours été les porteurs de projets de promotion et d’émancipation des individus et des groupes, par une dynamique militante afin de promouvoir le changement des institutions et de la société. Le modèle que propose l’HG dans les CASS est bien un musellement de cette capacité d’agir de notre profession.

Jean-Daniel JIMENEZ

  1. Voir solidaritéS n°40 et n°42.