La triple arnaque du «Service Citoyen»

Le 30 novembre, la population suisse votera sur l’initiative «Service Citoyen». Malgré une campagne qui souligne sa fonction «civile», le texte a été répudié par le Service Civil International et Fédération pour la défense du service civil suisse… Un projet militariste se cacherait-il derrière une façade citoyenne? 

Des militaires informent une jeune recrue du service militaire
Il faut regarder en détail le texte de l’initiative «Service Citoyen» pour se rendre compte qu’elle favorisera… l’armée. Journée de recrutement, Mels, 2018

Malgré la campagne «citoyenne» du comité d’initiative, le texte propose de modifier la constitution en y supprimant la mention directe du service civil en faveur d’une reformulation floue d’un «autre service de milice équivalent reconnu par la loi», qui amalgame protection civile et service civil, supprimant de fait la garantie constitutionnelle du service civil. Il n’est d’ailleurs pas anodin qu’en parallèle de cette initiative, un référendum vienne d’être lancé pour s’opposer au durcissement d’accès au service civil récemment voté au Conseil national.

Le service civil, grand absent du projet 

Puisque le texte ne dit rien du service civil, c’est le Conseil fédéral (CF) qui en a tranché l’interprétation. Dans les faits, le service civil resterait sous sa forme actuelle (prévue dans la loi), marquée par le régime de la preuve par l’acte (1,5 fois plus long que le service militaire) et la nécessité d’être préalablement incorporé dans l’armée avant de devoir déclarer un conflit de conscience dans les délais. 

En plus de la perte constitutionnelle, le texte présente des critères inquiétants concernant les effectifs puisqu’il précise que «l’effectif réglementaire est garanti pour les services d’intervention en cas de crise, en particulier pour l’armée et la protection civile». Actuellement, l’effectif règlementaire est défini au niveau législatif et aucune mention n’y est faite au niveau constitutionnel. À la déconstitutionnalisation du service civil, l’initiative oppose la constitutionnalisation, selon un critère flou de «crise», d’une «garantie» des effectifs. 

Dans les faits, et comme le confirme l’interprétation du CF, cela ouvrirait la porte, en ajoutant une garantie au plus haut niveau législatif, à l’imposition du service militaire à un individu qui s’y refuse. Les détails de ce type de décisions (qui a le droit de changer de type de service par exemple) devraient être déterminées par le Conseil national après l’entrée en vigueur du texte. Difficile de croire que les astreint·es pourront encore faire valoir un droit au conflit de conscience dans un climat national et international militariste et lorsque la droite, décomplexée, aura déclaré la «crise» afin de démultiplier les effectifs règlementaires. 

Astreindre les personnes étrangères sans contrepartie

Le droit des personnes étrangères est également attaqué par le texte. Celui-ci demande explicitement au Conseil national de définir si (et dans quelle mesure) les personnes qui n’ont pas la nationalité suisse doivent effectuer un «service au bénéfice de la collectivité et de l’environnement». Ceci sans aucune contrepartie prévue, bien entendu. 

La Suisse sait être à l’avant-garde de l’indécence. Si le Conseil national tranchait en faveur d’un tel service, notre Confédération serait le premier pays au monde à imposer un service «citoyen» à des… non-citoyen·nes (cherchez la logique).

L’égalité des genres selon la droite

Le point central de l’initiative reste celui de l’extension de l’obligation de servir à toute la population. Cette proposition reposerait même sur une égalité effective des genres: «L’engagement ne connaît pas de genre. Le Service Citoyen instaure l’égalité dans le système de milice et répartit équitablement les responsabilités. Ainsi, les femmes comme les hommes apportent leur contribution, côte à côte, pour la Suisse». Même la Confédération (sur son site internet) souligne le caractère fallacieux de l’argument: «[l’obligation de servir] alourdirait toutefois encore le fardeau de nombreuses femmes, qui assument déjà une grande partie du travail non rémunéré d’éducation, d’assistance et de soins aux enfants et aux proches ainsi que des tâches ménagères. Étant donné que l’égalité dans le monde professionnel et dans la société n’est toujours pas une réalité, contraindre les femmes à effectuer un service citoyen ne constituerait pas un progrès en matière d’égalité»

En astreignant les femmes, les effectifs militaires exploseraient dès l’entrée en vigueur. Ce ne serait plus 35000 personnes qui passeraient le recrutement chaque année mais bien 70000. Il est certain que par méconnaissance des procédures, des délais ou encore par dépit (et malheureusement, également par envie dans un climat belliciste actuel), une grande partie des femmes recrutées finiraient par effectuer un service militaire. Ne renforçons pas une armée d’ores et déjà inutile, qui le sera tout autant avec un effectif féminisé, mais dont les coûts auront explosé avec le nombre de militaires. 

Puisque ce texte est une attaque frontale contre le service civil, les femmes (ou personnes inscrites comme telles à l’état civil) et les personnes étrangères, nous vous invitons à voter un grand non fin novembre.

Un comité unitaire se met d’ailleurs sur pied à Genève pour faire campagne contre cette arnaque. Rejoignez-nous!

Clément Bindschaedler