Une grève historique dessinée

La bande dessinée La révolte des cigarières raconte la lutte des ouvrières à Yverdon en 1907, première grève menée par des femmes en Suisse. L’autrice et dessinatrice Fanny Vaucher ravive la mémoire d’un combat syndical et féministe fondateur. Entretien. 

Une illustration des la grève des cigarières d'Yverdon
Les cigarières de la fabrique Vaucher d’Yverdon

Quand j’ai découvert cet événement, j’ai tout de suite eu envie de le faire connaître plus largement, parce que c’est un exemple fort de mobilisation collective qui a fonctionné. J’en ai parlé à Eric Burnand, qui a d’abord voulu se plonger dans les documents historiques avant de décider s’il y avait quelque chose de plus à dire que ce qui en était déjà connu. 

En fouillant les archives, il a découvert un tract inédit rédigé par une ouvrière, Lucie Zingre: elle a été le cœur battant de cette grève. Ce manuscrit, reproduit dans la BD et présenté dans les Cahiers d’histoire du mouvement ouvrier (nº 41, 2025), révélait le caractère féministe de cette grève! Ça a été le point de départ de la création d’un récit. 

Nous avons discuté du scénario pendant presque une année, il a subi beaucoup de changements, car c’était complexe d’être à la fois fidèle aux faits, d’intégrer les différentes facettes de la société de l’époque, et d’avoir une intrigue intéressante pour nos personnages.

Oui! Au départ, il y a justement Margarethe Faas-Hardegger, car c’est en découvrant sa vie que j’ai appris qu’elle avait activement aidé à organiser la grève et inlassablement soutenu les cigarières, notamment dans son journal L’Exploitée. Elle militait pour la liberté sexuelle, la contraception et le droit à l’avortement à une période où c’était très radical. 

De la même manière, Lucie Zingre avait beaucoup à perdre, et elle a d’ailleurs tout perdu à la suite de cette grève, mais elle n’a pas hésité à lutter et c’est son courage qui a permis une avancée pour des centaines d’ouvrières. 

Le syndicat qui a finalement signé avec le fabricant de tabac Vautier n’a d’ailleurs jamais reconnu le rôle de Lucie et de ses camarades!

En parallèle de cette BD, la Ville d’Yverdon-les-Bains a nommé en leur honneur la nouvelle Passerelle des Cigarières, au lieu précis de la grève, et j’ai eu la grande joie d’être invitée à créer une installation artistique à cet endroit également, qui rend visible leur combat. 

Je pense que c’est un médium qui facilite l’entrée dans des sujets sérieux, du fait de son langage propre mêlant dessin et texte, donc moins intimidant qu’un «pur» texte. La BD offre beaucoup de liberté: cela demande beaucoup moins de moyens qu’un film ou une série, et tout est représentable sur papier, avec un peu de documentation et d’imagination. Mais au fond, je dirais que c’est surtout simplement…  Mon outil à moi. 

L’important n’est pas tant le médium que le sujet, et comme la bande dessinée prend énormément de temps à faire (en moyenne deux ans de travail pour un album), c’est crucial pour moi que ce que je raconte soit nécessaire. 

Certaines de leurs revendications sont hélas encore valables aujourd’hui, comme par exemple l’égalité salariale. Aussi, en tant que participante aux luttes, je trouve qu’on a parfois tendance à réinventer la roue à chaque campagne, alors que c’est précieux de s’inspirer des modes d’action collective passés. C’est utile de pouvoir comprendre comment s’articulaient les rapports de force et comment s’organisait concrètement l’action sur la durée, car c’est encore applicable aujourd’hui. 

En définitive, pour les cigarières, ce sont les méthodes les plus radicales qui ont fonctionné dans leur lutte pour le droit de se syndiquer: non par la négociation, mais par les piquets de grève et le boycott. Et la création d’une coopérative, qui a permis de montrer que d’autres formes d’organisation du travail étaient possibles. 

Propos recueillis par Effe Deux