Culture en lutte pour l'été

Image du film Les Rascals
Image du film Les Rascals

Nos conseils de lecture, un film et des podcasts pour l’été.

chasseurs de Skin des années 1980  

Sorti en 2023, le film Les Rascals, de Jimmy Laporal-Trésor, raconte l’histoire de l’explosion, dans la France des années 1980, du phénomène dit «des bandes» et l’arrivée des mouvements skinhead nationalistes. L’œuvre nous plonge dans les rues de Paris dans une période de violence et de montée de l’extrême droite où les ratonnades sont courantes. 

Cette fiction, passé complètement sous les radars du public, mérite d’être remise sous les feux des projecteurs. Tout d’abord, pour son respect de la période traitée, à l’aide d’un méticuleux travail d’archives. Le réalisateur arrive à dresser un cadre historique et politique des rapports de force au sein de la société française, les méthodes mobilisées par l’extrême droite, les violences policières à l’encontre des jeunes des quartiers et les inégalités structurelles, source des violences. 

Le cœur du film réside dans son profond message antifasciste et de mise en évidence des violences envers les personnes racisées. Un film assumant pleinement sa démarche de parler de nos sociétés actuelles par le prisme du passé. Un film brutal par moments mais qui mérite d’être visionné.

Luca Califano

Jimmy Laporal-Tresor, Les Rascals, 2022, disponible en DVD et VOD

Livres

Un musèlement qui a trop duré

La génération Z (13-28 ans) serait fainéante, égoïste, narcissique, addict aux écrans. La liste des reproches est longue mais ne date pas d’hier.

Salomé Saqué, journaliste de 29 ans reconnue pour ses chroniques sur Blast, France 5 et France Info, a voulu décortiquer cette aversion récurrente en donnant la parole aux concerné·e·s : au travers d’une centaine de témoignages, Sois jeune et tais-toi démonte les grands clichés.

Paradoxalement, le foisonnement des médias a amplifié les propos condescendants à l’égard des jeunes générations qui, elles, ont été écartées de l’espace public, preuve que leur voix n’a pas de valeur. Cependant, les défis auxquels la jeunesse est confrontée sont inédits: dérèglement  climatique, conflits européens, pandémie… Jamais l’avenir n’a paru aussi incertain à un âge où l’on construit son rapport au monde.

L’autrice met en évidence cette fracture générationnelle avec l’espoir de tendre des passerelles pour unifier nos actions. Faire confiance à la jeunesse est, en fin de compte, un pari nécessaire. 

Iuna Allioux

D’autres lieux d’amour

J’ai entendu pour la première fois Tal Madesta, journaliste et militant transféministe, lors de son invitation dans «Le Cœur sur la table», le podcast de Victoire Tuaillon. Ses mots m’ont immédiatement touché: il y décrivait comment son apprentissage de l’amour avait pu faire de l’intimité un danger et de sa sexualité une violence contre lui-même. Il racontait également à quel point sortir d’une sexualité hétéro et d’un mensonge cisgenre pouvait être magnifique, libérateur, politique et intime.

À la suite de cet entretien, il a écrit Désirer à tout prix, où il précise son propos. Mêlant témoignages et analyses politiques, il décrit en quoi le capitalisme s’est approprié la révolution sexuelle, formant l’idée dangereuse que la sexualité serait forcément libératrice, pathologisant les corps non désirants, non désirés. Réfléchissant au devenir de la libération sexuelle, il propose un chemin autre où il ne serait pas nécessaire de s’éloigner de nos corps pour se sentir profondément liéxes aux autres, où le couple hétéro ne serait plus le seul lieu d’amour, d’affection, d’intimité ou encore de parentalité.

Simon Vachetta

Pirate et populaire

Fatima Ouassak situe sa perspective écologique au sein de l’expérience concrète de son quartier populaire. Elle montre qu’une partie du mouvement pour la justice climatique a implicitement une vision coloniale. Les corps non blancs sont présentés comme le décorum des mobilisations, sans que cela s’accompagne d’un travail en profondeur de compréhension des intérêts de classe des personnes vivant au sein des milieux populaires.  

Il s’agit donc de faire de la question de la lutte contre le système colonial-capitaliste une question centrale. Son livre se développe aussi autour de deux concepts clés: la terre et la liberté. La fin de l’errance des descendant·e·s de l’immigration postcoloniale passe par l’appropriation de la terre où iels vivent mais dont iels sont actuellement dépossédé·e·s. La liberté de circuler est quant à elle défendue comme à la fois l’alternative à la question climatique et démographique, mais aussi à la logique coloniale capitaliste. Un livre qui nous ouvre de nouvelles perspectives et champs d’action politique. 

JS

Un ouvrage posthume de Michel Husson

Auteur de nombreux ouvrages et articles, Michel Husson (1949 – 2021) avait travaillé dans plusieurs institutions économiques, avant de rejoindre au début des années 1990 l’Institut de recherches économiques et sociales (IRES), organe de recherche lié au mouvement syndical.

Dans un ouvrage publié après son décès, Portrait du pauvre en habit de vaurien : eugénisme et darwinisme social, Michel Husson aborde la question de savoir pour quelles raisons se perpétue depuis la révolution industrielle une population d’«inutiles au monde», de pauvres, de chômeur·euse·s. Il invite à découvrir les innombrables penseurs qui ont légitimé l’existence des pauvres, des surnuméraires (certains se basant sur les théories racistes et eugénistes) et aborde l’épineux débat du «darwinisme social», qui étend les théories de Darwin sur la sélection des espèces au social. 

Une analyse indispensable à un moment où les chômeur·euse·s sont sommé·e·s de «traverser la rue» pour trouver du travail.

HPR

Inoxydable Debord

Vous n’avez jamais rien compris à la Société du spectacle? Encore moins aux provocations cinématographiques de Guy Debord? Heureusement, le philosophe allemand Anselm Jappe fournit, depuis trente ans, un précieux travail d’exégèse de la pensée du fondateur de l’Internationale situationniste.

Auteur d’une biographie de Debord en 1992, Jappe a continué à écrire régulièrement des essais sur la personnalité et l’œuvre du théoricien du spectacle. Il vient de publier un recueil de dix textes, retouchés pour l’occasion. Certains se concentrent sur la pensée de Debord, d’autres la font dialoguer avec d’autres philosophes – Adorno, Arendt, Baudrillard… Tous la mobilisent comme un outil pour cerner les enjeux actuels de la lutte contre le capitalisme d’une manière claire, rigoureuse et pédagogique.

Le tout donne à réfléchir à la pertinence renouvelée des catégories du «jeune» Marx, en particulier l’aliénation, que s’approprie Debord dans les années 1960. Et offre des pistes pour répondre à cette question : comment reprendre collectivement le contrôle de nos vies dans un monde colonisé par la marchandise ?

GR

Cases d’histoire suisse

Après Le siècle d’Emma (sur l’histoire suisse au 20e siècle), Éric Burnand et Fanny Vaucher publient une bande dessinée sur l’histoire suisse au 19e siècle. Des personnages fictifs relatent la période s’écoulant de la République helvétique (1798 – 1803) à l’industrialisation des années 1870 et à la première loi fédérale sur le travail (1877).

En 1872, Eugénie, âgée de 20 ans, reçoit de ses parents vivant à Uster, une lettre de Jeanne, sa grand-mère «née à l’orée du 19e siècle dans le Pays de Vaud». Jeanne révèle qu’Eugénie fut adoptée peu après sa naissance par une famille zurichoise, sa vraie famille ayant émigré au Brésil en 1852 pour fuir les conséquences d’une crise économique et agricole (qui n’était pas la première). 

C’est ainsi que Jeanne relate, «j’ai grandi dans une famille paysanne qui a cru aux promesses de la révolution vaudoise. J’ai fondé une famille en terre catholique, connu les troubles de la guerre civile et la famine, jusqu’à l’émigration forcée à l’autre bout du monde». Non, la Suisse ne fut pas toujours le pays prospère que l’on nous décrit…

HPR

Podcasts

Fascismes d’aujourd’hui et d’hier

Le sociologue Ugo Palheta, connu notamment pour son travail sur le fascisme, a lancé il y a un peu plus d’un an un podcast nommé «Minuit dans le siècle». Dans celui-ci, il propose de décortiquer, accompagné de différent·e·s invité·e·s, la menace fasciste dans plusieurs épisodes thématiques. 

Partant des résurgences de cette force politique notamment en France, au Brésil, ou encore aux États-Unis, Ugo Palheta revient d’abord sur les origines du fascisme. Il consacre ensuite plusieurs épisodes à l’actualité des droites radicales et aux transformations contemporaines du fascisme dans différentes régions notamment en Turquie, en Inde et en Italie. L’exploration des rapports entre fascisme et police, entre fascisme et racisme ou entre fascisme et (néo)colonialisme est particulièrement riche. De même, les épisodes consacrés à la manière dont les fascistes investissent les terrains de l’écologie et du militantisme féminin sont d’un grand intérêt. Finalement, une place importante est également consacrée aux luttes antifascistes passées et présentes, à leurs stratégies, leurs succès et leurs échecs.

MF

→ Ugo Palheta, «Minuit dans le siècle», Spectre Média, 2022

Le fric, c’est pas chic

La revue en ligne Gotham City, consacrée à la criminalité économique, frappe fort avec un podcast sur le goût des institutions financières suisses pour l’argent sale. Durant six semaines entre mai et juin dernier, les journalistes Marie Meurisse et François Pilet ont présenté autant d’épisodes issus de la première saison de «Dangereux Millions».

Chacun raconte une affaire méconnue ou oubliée qui illustre l’opportunisme crasse des banques suisses, pour qui l’argent n’a évidemment pas d’odeur, d’autant qu’il se lessive très facilement sous nos latitudes. C’est ainsi plusieurs fenêtres sur la cupidité que nous ouvre le podcast, puisqu’il a pour cadre les mafias du New York des années 1930, les cartels de la drogue mexicains au tournant du 20e siècle ou encore, plus récemment, les hautes sphères du pouvoir politique de Malaisie et ses escrocs. Tous se sont vu ouvrir en grand les coffres du pays, de Credit Suisse à la banque Pictet, en passant par UBS ; un rapport parfois facilité par leurs avocats d’affaires. 

Si vous voulez savoir comment Marc Bonnant a aidé (non sans fierté) un militant fasciste italien de haut vol à échapper à la justice de son pays après l’attentat de Bologne en août 1980, le plus meurtrier des années de plomb, rendez-vous sur les plateformes d’écoute.

ML

→ «Dangereux Millions», 6 × 30′