Palestine: résistance au quotidien, résistance au féminin

Palestine: résistance au quotidien, résistance au féminin

Quatre femmes. Quatre portraits. Pour dire la résistance au féminin. Pour dire qu’il n’y aura pas de paix en Israël tant qu’Haneen n’aura pas le droit de vivre dans la ville juive de Nazareth Illit… tant que le village de Fadwa la Bédouine n’apparaîtra pas sur les cartes de l’Etat d’Israël… tant que Samia n’aura pas le droit de retourner sur sa terre ancestrale… et tant que Yasmina devra faire croire à son fils de trois ans que les fouilles nocturnes des soldats israéliens sont normales. La paix viendra le jour où Palestiniens et Israéliens, hommes et femmes, auront les mêmes droits et pourront se regarder face à face.

«Nous sommes des citoyens de
2e classe», Haneen, Palestinienne et citoyenne d’Israël

20% des citoyen-ne-s d’Israël sont d’origine palestinienne. Ils sont musulmans, chrétiens ou druzes, et leur langue maternelle est l’arabe. Ils sont les rescapés de an-Naqba, la «Catastrophe», c’est ainsi que les Palestinien-ne-s nomment ces quelques mois de 1948 qui virent la destruction par l’armée israélienne de 450 villages palestiniens (sur un total de 550) et l’expulsion vers les pays arabes voisins de 800000 Palestiniens (sur une population totale de 950000 habitant-e-s).

Haneen fait partie de cette minorité palestinienne oubliée du monde, négligée et crainte par l’Etat d’Israël. L’Etat définit cette minorité comme «une menace démographique contre la survie de l’Etat juif» et maintient celle-ci dans la pauvreté et l’impuissance politique (les membres palestiniens de la Knesset, le parlement israélien, n’ont aucun poids politique du fait de leur trop petit nombre).

Depuis sa naissance, Haneen n’a connu que les humiliations et la discrimination. qui sont le lot quotidien d’une citoyenne de 2e classe. Quand elle avait six ans, Haneen ne jouait pas avec des petits camarades d’école juifs, car c’est dans une école pour Palestinien-ne-s qu’elle devait aller – en Israël, le système scolaire est ségrégatif, et les écoles destinées aux enfants d’origine palestinienne sont complètement négligées par l’Etat. Quand elle avait dix ans, c’est l’histoire sioniste qui lui était enseignée à l’école, celle qui nie l’existence d’une civilisation palestinienne avant la création de l’Etat juif, en 1948.

Quand elle a eu dix-huit ans, Haneen a eu la chance de pouvoir poursuivre des études universitaires en journalisme – une chance rare, car selon un rapport de l’organisation Human Rights Watch: «L’échec scolaire est 3 fois plus fréquent chez les élèves d’origine palestinienne (…) et très peu d’entre eux parviennent jusqu’à l’université.» Et lorsqu’elle a terminé ses études, Haneen savait qu’elle ne pourrait pas travailler dans un journal israélien – les médias n’emploient aucun journaliste d’origine palestinienne.

Haneen vit aujourd’hui à Nazareth, «dans une ville où nous sommes 70000 Palestinien-ne-s à nous entasser, sans espace vert, sans cinéma, sans club sportif… nous sommes même privés de culture et de sport par l’Etat! Allez à Nazareth Illit, vous y verrez 25000 Juifs qui vivent sur un territoire trois fois plus grand que le nôtre, avec des parcs et des routes immenses, et avec des cinémas et des clubs sportifs où nous n’avons même pas le droit d’aller. Un Juif de Suisse pourrait venir vivre demain à Nazareth Illit, mais moi, dont les ancêtres ont labouré cette terre, je n’ai pas le droit d’y habiter… c’est l’apartheid à l’israélienne, pratiquée en toute légalité.» Nazareth Illit est la jumelle aisée de Nazareth, une ville construite pour les citoyen-ne-s juifs et choyée par les subventions de l’Etat juif.

Haneen est une femme en marche. Au travers de son travail pour l’ONG I’lam, elle se bat pour que la voix des citoyen-ne-s israéliens d’origine palestinienne soit enfin entendue dans les médias. Elle emmène des journalistes voir l’autre réalité, celle de la minorité palestinienne, un peuple qui se bat depuis 1948 afin d’obtenir les mêmes droits que ceux dont bénéficient les citoyens juifs

«Voici mon rêve… des maisons, des arbres, une école, une bibliothèque, un hôpital pour que mes enfants soient bien soignés, et un arrêt de bus», Fadwa, Bédouine et citoyenne d’Israël.

La silhouette noire et dansante au vent de Fadwa surgit à l’horizon du désert. Fadwa habite dans un village «non reconnu» par l’Etat d’Israël, à une demi-heure en voiture de Beersheba. Sur les cartes de l’Etat d’Israël, son village, tout comme des dizaines d’autres villages bédouins, n’existe pas. Aucun panneau n’indique le village de Kasr el Ser et, bien sûr, aucune route n’y mène… d’où le rêve fou de Fadwa de voir un jour un bus s’y arrêter.

En 1956, les Bédouin-e-s du Néguev ont subi un premier déplacement forcé afin que de nouvelles colonies juives puissent s’implanter sur leur territoire.

Aujourd’hui, bien que les Bédouin.e.s paient leurs impôts comme chaque citoyen-ne d’Israël, l’Etat ne reconnaît même plus leur existence. Ils/elles ne reçoivent aucun service de l’Etat, ni eau courante ni électricité, et vivent dans des maisons étouffantes aux toits de tôle ondulée, dans des villages sans école, sans magasin, sans rien… entre soleil et poussière. Pour s’assurer de la non-existence de ces Bédouin-e-s, l’Etat envoie régulièrement des avions qui épandent des produits toxiques sur leurs cultures, en plein jour, sans aucun avertissement préalable… ceci a entraîné des malformations de fœtus.

En tant que femme bédouine, Fadwa se retrouve tout en bas de l’échelle sociale en Israël, dernière parmi les derniers. Elle n’est jamais allée à Tel Aviv, mais elle a un rêve, le rêve d’une vie meilleure, avec des maisons, des arbres, une école, une bibliothèque, un hôpital, pour que ses enfants soient bien soignés, et un arrêt de bus, comme dans le rêve qu’elle a dessiné. A-t-elle le droit de rêver bien qu’elle n’ait pas le droit d’exister?

«J’ai une maladie dans le cœur, c’est comme si j’étais encore en prison», Samia, réfugiée palestinienne du camp d’Aïda près de Bethléhem et ancienne prisonnière politique.

Samia avait tout juste vingt ans et était infirmière à Jérusalem quand elle entra en résistance contre l’Occupation. En 1975, elle fut condamnée à treize ans de prison pour son activité politique, mais grâce à un échange de prisonniers, elle ne passa finalement que quatre années derrière les barreaux d’une geôle israélienne. De ce séjour en prison, elle se souvient des coups, de la lumière et du bruit utilisés pour la torturer, des prostituées israéliennes forcées par les gardiens à lui jeter de la nourriture bouillante… Mais elle se souvient aussi de cette prostituée israélienne qui «avait un cœur d’or» et qui a accepté de donner des nouvelles à la famille de Samia à sa sortie de prison. Samia parle avec les larmes aux yeux – elle qui «ne pleure plus depuis des années», de la solidarité exceptionnelle qui existait entre les six femmes palestiniennes qui partageaient sa cellule: «Quand tu pleurais, les autres pleuraient avec toi, et quand tu riais, les autres riaient avec toi. Nous étions plus proches que des sœurs… je pense souvent à elles; aujourd’hui, où sont-elles, réfugiées en Jordanie ou au Liban?».

Comme toutes les mères palestiniennes, Samia a rêvé que ses fils ne grandiraient pas, «parce que quand ils deviennent adolescents, nos fils sont en danger, ils peuvent être battus en pleine nuit par des soldats israéliens en patrouille, comme c’est arrivé il y a quelques mois à mon fils cadet accusé d’avoir lancé une pierre, ou emmenés en prison comme c’est arrivé à mon fils aîné». Son fils est l’un des quelque 400 enfants de moins de dix-huit ans qui sont actuellement en détention en Israël. Parce qu’elle est une ancienne prisonnière politique, Samia n’a pas le droit de rendre visite à son fils en prison.

Toute la famille de Samia est en résistance. Leur maison est criblée d’impacts de balles et les énormes trous dans les murs du salon ont été bouchés tant bien que mal avec du papier.

La nièce de Samia, Siham, qui est coordinatrice du centre pour les femmes du camp de réfugié-e-s, avoue se sentir submergée par la panique dès qu’elle voit des soldats israéliens aux checkpoints (barrages routiers), «tout mon corps tremble, mais j’essaye de ne rien laisser transparaître». Siham est confrontée à «l’arrogance des soldats israéliens de dix-huit ans» dans tous ses déplacements hors du camp de réfugié-e-s. Les Palestiniens qui se rendent à leur travail ou à l’université passent chaque jour des heures à attendre à la cinquantaine de checkpoints construits par l’armée israélienne en Cisjordanie.

Samia et sa nièce Siham font partie des 5,5 millions de réfugiés palestiniens de la «Catastrophe» de 1948. De leur maison, il ne reste «que les clés»… Aujourd’hui, Samia n’a même pas un lit où dormir, et elle ne peut qu’espérer obtenir un jour le droit de retour sur la terre de ses ancêtres. Sa nièce Siham, dans un ultime élan de défiance, affirme: «Si les Juifs ferment une route, nous irons par un autre chemin. S’ils détruisent notre maison, nous en reconstruirons une nouvelle. Et s’ils nous mettent en prison, nous survivrons aussi».

«Tout est normal. C’est juste un mauvais moment à passer, comme une piqûre chez le médecin. Ils ne vont pas te tuer», Yasmina, Palestinienne de Cisjordanie, expliquant à son fils de trois ans une fouille nocturne de l’armée israélienne.

Sikka ressemble à tous les villages du monde… de jolies petites maisons avec des jardinets, des enfants qui jouent dans les rues, des plantations d’oliviers tout autour du village. Et pourtant, le masque de la normalité tombe très vite… Ce village se trouve juste à côté du Mur construit par Israël. La longueur totale de ce Mur sera de 832 kilomètres, et presque la moitié du territoire de la Cisjordanie aura été annexée par Israël à travers sa construction. Yasmina ne peut déjà plus qu’observer ses oliviers à distance, elle fait partie des 14% de Palestinien-ne-s (329 000 personnes) qui seront séparés de leurs champs par le Mur. Cette terre n’est déjà plus la sienne.

En juillet 2004, la Cour Pénale Internationale de La Haye a déterminé que «la construction du Mur par Israël dans les Territoires Occupés était contraire au droit international» et a ordonné à Israël «d’arrêter immédiatement la construction du Mur, de démonter les parties du Mur déjà construites, et de rendre aux Palestiniens leurs terres». Mais à Sikka, les bulldozers de l’entreprise Caterpillar continuent la construction du Mur avec la protection des soldats israéliens, et comme dirait Yasmina, «personne ne les a empêchés de confisquer nos terres et de construire le Mur, qui les empêchera de nous chasser?».

Depuis le début de la construction du Mur, les incursions de soldats israéliens dans le village sont très fréquentes. «Il y a quelques jours, nous avons passé la moitié de la nuit debout sous la pluie pendant que les soldats faisaient une fouille de notre maison… comment puis-je expliquer cela à mes enfants? Ils ont aussi arrêté mon fils aîné parce que nos chèvres étaient allées paître trop près du Mur…».

Beaucoup de familles du village n’ont plus de source de revenu. La construction du Mur ne leur a pas seulement fait perdre leurs champs, mais aussi la possibilité de travailler comme ouvriers en Israël. Yasmina dit dans un éclat de rire désespéré: «Chaque jour, nous répétons que la situation va s’améliorer demain, mais elle ne s’améliore jamais!».

Sylvie GRAENICHER