NON à l'accord de Dublin, NON au rejet des requérant-e-s

NON à l’accord de Dublin, NON au rejet des requérant-e-s

Le 5 juin, nous voterons sur la ratification des accords de Schengen-Dublin par la Suisse. Nous avons déjà eu amplement l’occasion d’expliquer pourquoi nous appelions à dire NON à Schengen. Nous avons demandé ici à Michel Ottet, membre fondateur et permanent d’ELISA-ASILE, d’expliquer pourquoi il se prononce clairement pour le NON à Dublin. Michel Ottet fournit une assistance juridique gratuite aux requérant-e-s d’asile; il intervient en particulier à l’aéroport de Cointrin. Il est aussi membre du Comité d’Exodus, qui réunit les aumôniers, ainsi que les services sociaux et juridiques des aéroports européens.

Je pense tout simplement que l’accord de Dublin est un mauvais accord et qu’il n’est pas du tout nécessaire que la Suisse s’y associe. Mes objections sont liées à l’essence et à la genèse même de l’Accord de Dublin. En effet, cet Accord a pour but de déterminer l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection. Ma position n’a, bien entendu, absolument rien à voir avec mes convictions européennes.

Mauvais et inutile

Chaque pays adhérant au système Dublin est aussi signataire de la Convention de Genève de 1951, relative au statut des réfugié-e-s, qui établit que l’Etat qui reçoit la demande de protection est responsable de son examen. Ce principe est limpide, il prime sur le droit interne et même communautaire. L’Accord de Dublin n’est rien d’autre qu’un moyen d’y échapper.

C’est justement parce que certains Etats ont failli à cette obligation que l’on a vu se développer le phénomène des «réfugié-e-s en orbite». Dès lors, vanter les mérites de Dublin en prétendant que ce système apporte une solution humaine à la situation des «réfugié-e-s en orbite» est pour le moins curieux.

J’estime que la raison principale pour rejeter cet Accord est qu’il permettrait à la Suisse de se décharger sur d’autres pays (plus proches des pays d’émigration), au lieu d’examiner la demande de protection qui lui a été présentée.

Une autre objection de taille à l’adoption de Dublin réside dans le fait qu’un tel système n’est concevable que dans un régime d’asile harmonisé, c’est-à-dire lorsque les chances de voir reconnaître sa demande d’asile sont égales dans quelque pays que ce soit. En l’état, c’est malheureusement loin d’être le cas.

Le règne de l’arbitraire

Les disparités sont telles, que le même demandeur d’asile, tchétchène par exemple, a pratiquement 100% de chance d’être admis au statut de réfugié dans un pays, 50% dans l’autre et aucune chance dans un troisième. Dans le cas précis, et comme par hasard, le pays en question se trouve justement à la frontière orientale de l’Europe. Dans ces conditions, le renvoi arbitraire, vers un autre pays, d’une personne qui vient demander notre protection est une injustice inadmissible.

On agite aussi comme un épouvantail les deuxièmes demandes d’asile. La seule donnée fiable qui ressorte du rapport EURODAC constate que seules 7% des demandes ont été déposées dans deux ou plusieurs pays différents. Et encore, rien ne dit que ces personnes aient pu être effectivement renvoyées vers un autre pays. Nous sommes bien loin des 20% articulés régulièrement par les autorités, sur la base d’estimations de l’Office fédéral.

De plus, tout le monde oublie de dire que ce système est réciproque, et que notre pays devra reprendre les personnes déboutées en Suisse et qui tenteront leur chance vers un autre pays. Avec notre politique de suppression de l’assistance pour les gens dont la demande à été frappée d’une non entrée en matière, et au moment même ou M. Blocher prétend que le 80% de ces personnes ont quitté la Suisse, il faut même s’attendre à ce que le flux vers la Suisse soit plus important.

Dans les faits, le système Dublin est une machine à rejeter les personnes en quête de protection vers le pays responsable de les avoir laissé entrer sur le territoire communautaire. Les conséquences de cette politique sont multiples: un renforcement draconien des contrôles aux frontières européennes avec, à la clé, tous les drames en Méditerranée, les renvois dangereux sans examen des demandes, ou encore les contrôles en amont, pratiqués par des agents d’immigration dépêchés dans les aéroports de départ, etc. Le site Internet www.exodus-network.org relève régulièrement ces faits.

L’UE de plus en plus restrictive

Certains partisan-ne-s de l’adhésion à Dublin forment le vœu, qu’en ayant adhéré à ce système, notre pays sera incité à adopter des normes législatives plus clémentes, sous la pression des autres pays. Nous craignons beaucoup que ceux qui soutiennent cette position se bercent d’illusions. En effet, la Suisse n’est pas du tout tenue d’adopter de telles dispositions, et s’il lui en venait l’idée, nous pourrions nous attendre à un véritable tir de barrage de la droite nationaliste.

Mais, les partisans d’une Suisse fermée peuvent dormir sur leurs deux oreilles, il n’y aura aucune pression de l’extérieur, puisque Mme Calmy-Rey reconnaît elle-même la «spirale des politiques nationales de plus en plus restrictive», c’est-à-dire une tendance généralisée au durcissement dans tous les pays européens.

En fin de compte, il s’agit de savoir si l’on veut rejeter un système injuste et dangereux et prendre le risque de voir notre voix s’additionner à celles des partisans d’une Suisse fermée sur ses frontières. ELISA n’est pas un mouvement politique et notre propos ne cherche qu’à provoquer la réflexion sur un aspect peu discuté dans le débat autour de cette prochaine votation.

A chacun-e de faire son choix. Mais, que l’on s’engage ou non pour rejeter l’Accord de Dublin, il faut tenter de remédier aux déficits de notre législation dans la révision de la loi en cours. Et pour cela il existe un bon moyen: Aller à la manifestation nationale du 18 juin à Berne!

Michel OTTET