Maladie, invalidité et durcissement économique

Maladie, invalidité et durcissement économique

Nous pouvons affirmer que le travail salarié est responsable aujourd’hui, pour partie, d’une augmentation des coûts de l’assurance invalidité (AI) et des soins médico-pharmaceutiques (LAMal) en Suisse. Une telle évolution résulte de la péjoration des conditions du marché du travail dans le cadre d’une économie globalisée qui vise la maximisation des profits des grandes entreprises.

Il est notamment permis de tirer des parallèles entre le ralentissement économique des années 90 et l’augmentation de la proportion de bénéficiaires AI dans l’ensemble de la population en âge de travailler au niveau national: celle-ci est passée de 3,2%, en 1992, à 5% en 2002.

Les responsabilités du patronat

Cette réalité est ainsi confirmée par Entreprise romande , dans son numéro 2835 du 4 mars 2005: « L’assurance perte de gain en cas de maladie se durcit », titre-t-elle, avant de relever: « plus les conditions économiques sont difficiles, plus le taux d’absentéisme s’accroît dans les entreprises. (…) Maintenant cela se voit. Les maladies psychosomatiques et les maladies de société prennent une importance croissante ».

Toutefois, ce réalisme ne découle pas d’une volonté d’amélioration des conditions cadres de l’emploi, recherchée par des «entreprises citoyennes», mais par une prise en compte de l’augmentation des charges sociales, liée à la hausse des primes d’assurance perte de gain maladie, qui confirme le lien entre ralentissement économique et augmentation des absences pour maladie: « Hausse des primes, durcissement des conditions, résiliations de contrat, pénalisent notamment les petites entreprises. Elles reflètent la dégradation que l’assurance connaît depuis les années 90 », note le même journal.

Perte de gain maladie pas assurée

Pourtant, notre système de protection sociale ne prévoit pas d’obligation contractuelle des employeurs d’assurer l’ensemble des salarié-e-s contre la perte de gain maladie. Tout au plus, les conventions collectives peuvent prévoire une couverture de 720 jours sur 900 jours consécutifs. Or, en 2003, 36,7% des salarié-e-s étaient couvert-e-s par une CCT.

D’autres employeurs-euses, principalement les administrations publiques ou les établissements autonomes ont opté pour l’autofinancement, ce qui signifie qu’ils n’ont pas prévu de couverture perte de gain maladie, mais versent le salaire de l’employé-e atteint dans sa santé durant un maximum de 720 jours. L’absence de couverture perte de gain maladie empêche alors son remplacement et génère ainsi un stress supplémentaire pour les salarié-e-s, lié à une surcharge de travail.

Les «milieux économiques», principaux responsables de la détérioration du tissu de l’emploi, jouent ainsi les schizophrènes, puisque dans l’article déjà cité, ils relèvent que « des entreprises ont mis sur pied des systèmes de suivi des absents (…) Des assureurs mettent sur pied un système voisin. (…) Il permet de réagir plus vite lorsqu’un employé tombe malade. Ce sont essentiellement les absences de longues durées qui coûtent cher. (…) Il s’agit de prendre en charge l’absent plus tôt, afin de trouver une solution pour la réinsertion, en collaboration avec tous les partenaires concernés. (…) Mais une entreprise confrontée à un fort taux d’absentéisme devrait se pencher sérieusement sur le problème de la santé ». CQFD!

Pourquoi ne pas mieux
protéger les salarié-e-s?

Pourtant, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, ratifiée par la Suisse, prévoit en son art. 25, que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant (…) elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».

Ces notions sont reprises à l’art. 41, al. 2 de la Constitution fédérale, qui concerne ses buts sociaux et prévoit que « la Confédération et les cantons s’engagent à ce que toute personne soit assurée contre les conséquences économiques de l’âge, de l’invalidité, de la maladie, de l’accident, du chômage, de la maternité, de la condition d’orphelin et de veuvage ».

Ainsi, le 10 décembre 1906, lorsque le Conseil fédéral transmet son message aux chambres fédérales concernant les assurances contre les maladies et les accidents, il relève que « …la guérison ne dépend pas seulement de conseils d’un médecin et de l’emploi de médicaments: elle est favorisée par une nourriture convenable, la tranquillité psychique et le repos, toutes choses que permet seule une indemnité de chômage (en terminologie actuelle: indemnité perte de gain); cette dernière supplée au salaire perdu, nécessaire à l’entretien de l’assuré et de sa famille ».

Reculades des autorités fédérales

Cette volonté de protéger les salarié-e-s contre la perte de gain en cas de maladie est encore d’actualité en 1981, lors de la révision de l’assurance-maladie. Le Conseil fédéral réaffirme alors sa volonté d’« accorder au moins la garantie de son revenu au salarié frappé par la maladie ».1 Au cours de ses travaux, le Parlement refusera cependant de suivre le gouvernement sur ce point et la loi du 20 mars 1987 sur l’assurance-maladie (LAMA) consacrera le caractère facultatif de la couverture pour perte de gain maladie.

Le 6 novembre 1991, le Conseil fédéral transmet aux Chambres son projet de révision de l’assurance-maladie. Soutenant le principe d’une assurance obligatoire dans la branche « soins médico-pharmaceutiques », l’Exécutif précise: « c’est la révision de l’assurance des soins qui est actuellement prioritaire », et « toute proposition (…) visant à introduire une assurance obligatoire de l’indemnité journalière mettrait (…) le projet à trop forte contribution sur le plan politique ».2 Le parlement va suivre le Conseil fédéral, conservant ainsi un caractère facultatif à la couverture perte de gain maladie dans le cadre de la LAMal.

Le caractère obligatoire de la couverture perte de gain maladie ne peut donc dépendre de la LAMal. Pourtant, l’art. 41, al. 2 de la Constitution fédérale (buts sociaux) permet tout de même de légiférer au niveau cantonal, comme Genève l’a déjà fait en matière d’obligation d’assurance pour les soins médcio-pharmaceutiques, une année avant la loi fédérale (LAMal), ou en matière d’assurance maternité (LAMat).

C’est donc un projet de loi allant dans le sens d’une assurance perte de gain maladie obligatoire, que le mouvement solidaritéS a décidé de soumettre à ses partenaires politiques et syndicaux. Un projet de loi très proche de celui qui avait été déposé pour l’assurance maternité cantonale. Le Conseil d’Etat devra soumettre la législation à la Confédération pour valider son application et sa gestion par la caisse cantonale de compensation.

Notre volonté est de couvrir l’ensemble des salarié-e-s du canton et de ne pas laisser la gestion des absences pour maladie à des organismes privés, dont le seul but est de favoriser la rentabilité des entreprises. Nous entendons que cette législation soit soumise au contrôle démocratique (le Conseil d’administration de l’Office cantonal des assurances sociales) et développée dans le cadre d’un service public, par l’intermédiaire d’un fonds cantonal de compensation. Il est certain que les primes nécessaires pour assurer une telle couverture vont représenter une importante charge supplémentaire sur la masse salariale des entreprises. Il faut en effet compter sur une cotisation paritaire mensuelle de 6%. Pourtant, l’ensemble des salarié-e-s tireraient plusieurs avantages d’une nouvelle protection sociale de ce type.

Les avantages

Dans les années à venir les cotisations pourraient diminuer pour les entreprises qui investiraient dans la prévention et la protection de l’intégrité des travailleurs-euses (système bonus / malus). Les médecins du travail et les spécialistes de la sécurité (MSST) trouveraient ainsi un cadre légal pour intervenir dans les entreprises. Un tel dispositif offrirait un lien idéal avec l’assurance invalidité et la volonté affichée de mettre en œuvre une détection précoce, dans le cadre de la 5e révision de l’AI.

Le numéro AVS permettra de détecter plus rapidement les personnes en difficultés de santé, y compris parmi celles et ceux qui sont dans les emplois les plus précaires et les moins bien rémunérés, comme le relève un rapport scientifique rédigé dans le cadre du PNR 45 – Etat social: « Il faut également se pencher plus sérieusement sur les cas de personnes qui changent souvent d’emploi, surtout dans le segment à bas revenu. Même en supposant que les employeurs collaborent au système de détection précoce, il sera difficile de recenser ce groupe de personnes. Les absences pour cause maladie sont moins visibles si la personne touchée change d’emploi, ou alors les employeurs, selon le type de rapports de travail, sont peu enclins à soutenir activement les personnes à risque»3.

Enfin, une législation de ce type permettrait aux salarié-e-s de s’organiser sur leur lieu de travail pour contribuer à l’amélioration de leurs conditions de travail. C’est pourquoi nous défendons un projet de loi pour une couverture obligatoire perte de gain maladie et nous mettrons tout en œuvre pour que l’ensemble de la gauche soutienne cet élargissement indispensable de la protection sociale.

Jean-Daniel JIMENEZ

  1. Message sur la révision partielle de l’assurance-maladie, du 19 août 1981; FF 1981, II, 31
  2. Message du Conseil fédéral à l’Assemblée fédérale concernant la révision de l’assurance-maladie, du 6 novembre 1991, FF 1992, I, 89
  3. Rente un jour – rente toujours? – Une analyse des paramètre et processus conditionnant l’entrée et la sortie du système de l’assurance-invalidité – Projet de recherche 4045-059697 dans le cadre du PNR 45 – Résumé du rapport scientifique final p.6 – Ruth Bachmann, Franzischa Müller, Andreas Balthasar – Institut für Politiskstudien Interface.