Migration et asile: États généraux, mouvement national de résistance

Migration et asile: États généraux, mouvement national de résistance

Il ne faut pas mégoter son plaisir! Les Etats généraux de la migration et de l’asile ont été un succès. Convoqués le lendemain de l’acceptation par la majorité du parlement fédéral de des deux lois les plus iniques de l’histoire législative suisse, ils ont réuni les 17 et 18 décembre derniers plus de 200 personnes en provenance de plus de 40 collectifs des quatre coins de la Suisse, excepté malheureusement le Tessin.

Ces Etats généraux ont donc constitué une première riposte politique à la révision de la loi sur l’asile (LAsi) et à la refonte de la loi sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) devenue la loi sur les étrangers (LEtr). Ils ont aussi permis de marquer en Suisse la Journée internationale des droits des migrant-e-s qui se célèbre le 18 décembre, date à laquelle, en 1990, les Nations Unies ont promulgué la convention internationale pour la protection des droits des travailleurs migrants et leurs familles.

L’initiative des Etats généraux a bourgeonné au printemps 2005 au sein de la coordination asile Vaud, puis a été relayée au Forum social suisse du début juin et a été finalement présentée le 1er juillet dernier au comité de Solidarité sans frontières (SOSF) qui est devenu la plaque tournante de l’organisation de ce projet un peu fou.

Décloisonnements

Le premier enjeu des Etats généraux était d’opérer de multiples décloisonnements pour tenter de dépasser les habituelles faiblesses du mouvement dans ce pays: sortir du «cantonalisme», sortir des clivages entre groupes travaillant sur l’immigration et ceux oeuvrant sur l’asile, sortir d’une vision «alleingang» cantonnant le mouvement aux frontières helvétiques sans lien réel avec les initiatives prises au niveau continental. Enfin, il s’agissait de faire le lien entre les luttes pour les droits des migrant-e-s et celles menées pour les droits sociaux de toutes et tous.

Beaucoup reste à faire bien sûr, mais les Etats généraux ont permis, pour la première fois en Suisse, de mettre ensemble des gens qui militent sur des terrains différents et qui ne se connaissent pas ou guère. Il y avait là des associations de migrant-e-s, des syndicats, des organisations de défense des droits humains, des groupes de base, des Eglises, des permanences de consultation juridique, des organismes de formation et beaucoup de personnes venues à titre individuel pour participer à un événement qui apparaissait comme un lieu fédérateur propre à dynamiser le mouvement social.

C’est ainsi qu’à l’issue des Etats généraux a été créé un réseau national de résistance migration-asile marquant une étape importante dans le développement du mouvement depuis vingt ans. Et du même coup, les Etats généraux ont décidé de franchir une deuxième étape en adhérant au réseau MigrEurope qui réunit plusieurs dizaines d’associations dans une grande partie de l’Europe pour contrer les politiques gouvernementales liberticides et socialement iniques.

Mémoire et analyse globale

Le deuxième enjeu consistait à s’approprier une analyse commune pour dépasser une grande disparité d’informations, de réflexions et d’actions. Une douzaine d’interventions ont permis à la fois de resituer nos luttes actuelles dans une histoire – la mémoire collective faisant souvent défaut en Helvétie – dans une vision globale du capitalisme actuel sans laquelle on ne peut comprendre le rôle que la migration joue comme «avant-garde» de la précarité sociale, dans le démantèlement du droit et des droits, tant fondamentaux que sociaux, et dans un regard européen soulignant la violence de la logique de «Schengen II». L’apport de deux camarades français a été particulièrement utile à ce propos pour démonter les mécanismes d’oppression en cours au niveau européen dont le plus important est l’«externalisation» du travail de tri et de refoulement des migrant-e-s aux frontières sud et est de l’Europe, du Maroc à l’Ukraine en passant par la Lybie.

Une stratégie à moyen terme

Les Actes des Etats généraux qui seront publiés à la fin du premier trimestre de cette année reprendront l’ensemble de ces interventions remarquables à tous points de vue et utiles à tout le monde comme instrument de formation.

Enfin, le troisième enjeu des Etats généraux était à la fois de lancer une dynamique unitaire pour la campagne référendaire contre les deux lois et de déterminer quelques axes d’une stratégie de résistance au-delà des référendums.

Pour ce faire, les organisateurs faisaient confiance à la créativité collective mise en œuvre dans 9 ateliers et une plénière finale. Le défi a été largement relevé, chaque atelier dégageant trois conclusions principales qui seront mises en œuvre sur les trois ans qui viennent.

Cette stratégie de résistance englobe ainsi le combat contre les deux lois, par les référendums qui permettront une campagne d’information publique de grande ampleur, et, au-delà des référendums, par des campagnes politiques et culturelles de popularisation à la fois locales et nationales en 2007 et 2008; une participation active du réseau suisse à la création d’un Observatoire international du racisme et de la xénophobie d’Etat, mais aussi une capacité de propositions alternatives. Il s’agit de passer du défensif à l’offensif, de retourner la peur de l’«Ueberfremdung» en un ode au mélange et au cosmopolitisme. La stratégie à moyen terme implique ainsi à la fois les actions à mener en faveur de la ratification par la Suisse de la convention internationale des droits des migrants et la réflexion sur une initiative constitutionnelle de type «utopique-réaliste», proposant une autre politique migratoire.

Les Etats généraux ont donc alimenté fortement la dynamique du mouvement social avec des échéances propres afin de faire du temps un allié et non un adversaire et dessiné un horizon de radicalité sereine dans notre contestation du désordre établi.

D’ores et déjà, deux échéances sont fixées: une manifestation nationale après le dépôt des signatures et avant la campagne de votation proprement dite et des deuxièmes Etats généraux, après la votation elle-même, pour mettre en œuvre les axes stratégiques décidés.

Bruno CLÉMENT
Secrétaire régional de comedia,
le syndicat des médias
Membre collectif de la coordination asile Vaud et des comités
référendaires unitaires

Infos sur www.sosf.ch