L'or qui tue à petit feu: solidarité avec les mineurs maliens

L’or qui tue à petit feu: solidarité avec les mineurs maliens

Le Mali est à la fois l’un des pays les plus pauvres de la planète et l’un des plus riches avec son potentiel en or et ses cultures (coton et riz). Malheureusement, sa population n’en bénéficie pas, bien au contraire… Il est connu comme producteur d’or depuis des siècles. Actuellement, 20000 orpailleurs vivent encore de l’exploitation «traditionnelle» de l’or, tandis que, depuis une dizaine d’années, se développe une exploitation industrielle. Plusieurs Sociétés Multinationales y sont engagées, dont Rangold (principal actionnaire de plusieurs mines). Cette Multinationale (anglaise et sud-africaine) détient 40% du capital de la mine de Morila avec Anglogold qui en détient aussi 40% et l’Etat malien 20%. En marge du Forum Social Mondial de Bamako, il est indispensable de mettre en lumière la lutte et les souffrances des travailleurs de l’or.

Le chantier de la mine de Morila a débuté en 1998; l’extraction de l’or, en juillet 2000. Plus de 1500 travailleurs y sont employés. Morila SA sous-traite les travaux d’extraction auprès de la Somadex (Société Malienne d’Exploitation), filiale de la Multinationale Bouygues. Celle-ci emploie environ 600 travailleurs. La réserve d’or de Morila est estimée à 120 tonnes. Au terme de la convention avec l’Etat malien, l’exploitation de ces richesses doit s’étendre sur onze ans à raison de onze tonnes par an.

Escroquerie minière

Cependant, l’Etat a exonéré Morila-SA d’impôts et de taxes pendant les trois premières années. La convention aussitôt signée, la stratégie de Morila-SA a consisté à exploiter et extraire le maximum d’or pendant ces trois premières années. Ainsi, au lieu de 11 tonnes par an, elle a exploité:

* sur quelques mois seulement

En 2000* 4,2 tonnes
En 2001

23,4 tonnes

En 2002 38,9 tonnes
En 2003 16,7 tonnes

Au total, Morila-SA a donc exploité 83,2 tonnes en trois ans d’exploitation, soit plus des deux tiers des réserves de la mine. A ce rythme, le filon sera épuisé en cinq ans, au lieu de onze et des impôts ne seront perçus que sur deux ans.

En trois ans, la production de Morila-SA s’est montée à 500 milliards de FCFA (762 millions d’euros), dont 60% ont échappé indûment à l’impôt, avec la complicité de l’Etat. Ce que Morila-SA fait mine d’ignorer, avec le soutien des plus hautes autorités, c’est que la convention collective prévoit qu’en cas de dépassement des quotas de production, la société devrait payer aux travailleurs un pourcentage sur ces excédents. Morila-SA refuse pourtant de payer cette prime de rendement…

Par ailleurs, cette industrie consomme de l’arsenic, du cyanure par centaines de tonnes, des métaux lourds et des acides. L’eau des puits est réputée non potable, si bien que la mine a installé quelques points d’eau dans le village de Sanso, dont la charge en arsenic est deux fois plus élevée que les maximums autorisés par la directive du conseil des communautés européennes.

Raisons d’une grève

Depuis janvier 2005, les travailleurs de la mine multiplient les démarches administratives pour faire reconnaître leur délégation syndicale. La direction de la mine n’a pas donné de réponses à leurs revendications, ni réagi à l’annonce d’une grève à venir. Le Chef du Personnel a lancé une campagne de diffamations au sujet du Secrétaire général de la délégation syndicale (M. Nioumanta) en l’accusant d’illégalités, de malversations économiques etc.

En juillet 2005, environ 550 ouvriers de la Somadex sont en grève pour 3 jours afin d’imposer la reconnaissance de leur délégation syndicale et répondre aux diffamations qui ont été diffusées par le Chef du personnel à l’égard des délégués syndicaux. A la reprise du travail, la direction a licencié 17 ouvriers et menacé d’en licencier 60 autres.

La grève reprend donc pour:

  • Réintégrer les 17 grévistes licenciés.
  • Dénoncer les «falsifications» de contrats. Plus de 200 contrats sont faux: photocopies de contrats d’essai antidatés et contrats d’intérim délivrés le jour du licenciement. De plus, un certain nombre de travailleurs n’ont pas de contrat de travail!
  • Revendiquer les primes de rendement non payées: au total 17 milliards de FCFA, selon décision des tribunaux (2003).
  • Dénoncer les conditions de travail indignes, un encadrement médical inexistant et les graves problèmes de santé (empoisonnement) que les travailleurs rencontrent après 2-3 ans d’activité. Les protections employées sont non seulement insuffisantes, mais la plupart du temps absentes. Elles se limitent à des masques à poussières, inefficaces contre les vapeurs de cyanure et la poussière d’arsenic.

A la demande des travailleurs, des négociations ont lieu avec les responsables de la mine, accompagnés du Maire de Sanso, du Commandant de la Gendarmerie, des représentants de l’UNTM (Union Nationale des Travailleurs du Mali) et des représentants de la SecNaMi (Section Nationale des Mines et Energie). L’UNTM et la SecNaMi se rendent directement à la mine où ils logent et sont nourris. Le lendemain, ils arrivent aux négociations en compagnie des patrons! Les propos des négociateurs appelés en médiation sont unanimes: « les griefs sont justifiés mais reprenez le travail et nous négocierons après ».

Durcissement du mouvement

De plus en plus de travailleurs meurent dans la mine et les malades sont licenciés sans indemnité avec un faux contrat à durée déterminée (6 mois). Après un mois de grève, la Direction affiche les avis de licenciement de 300 travailleurs sur les murs de la salle de conférence de la préfecture. En toute illégalité, ils sont signés par le directeur des ressources humaines, un huissier et le préfet. Ces travailleurs se retrouvent sans aucune ressource financière.

Suite à cet affichage, 80 ouvriers ont voulu reprendre le travail: 30 ont été licenciés le jour même et une cinquantaine réengagés moyennant la signature d’un contrat allant de 1 jour à 3 mois. Ce qui veut dire qu’ils devaient faire l’impasse sur les raisons de la grève, perdre toute sécurité, oublier les «avantages» de l’ancienneté, les primes dues, la solidarité avec leurs camarades et leur fierté.

Depuis le mois d’août, la situation ne cesse de se dégrader, de nombreuses rafles étant organisées pour arrêter les grévistes. Une trentaine d’entre eux ont été emprisonnés à la prison de Bougouni. A l’heure actuelle, huit y sont encore détenus et y subissent des tortures: Karim Bindo, Adama Traoré, Binde Kansaï, Salif Mariko, Papa Kalifa Traoré, Mamadou Sagadogo, Sekou Wakara, Alou Diallo.

Le Secrétaire Général du Syndicat (Mr Nioumanta) est recherché et des snipers tirent sur les véhicules circulant entre le village et la mine.

Diviser pour régner

Les méthodes utilisées par les multinationales pour briser la solidarité entre travailleurs et affaiblir le mouvement sont multiples. Il s’agit fondamentalement de diviser pour régner. Au sommet de la Société, il y a les dirigeants et les cadres «blancs», ainsi que quelques «noirs», dont le Chef du personnel Balamourou Diarra. La société d’exploitation est composée de plusieurs sociétés anglophones et francophones. Quant aux travailleurs, ce sont pour la plupart des immigrés de toutes les régions du Mali et des pays environnants; d’autres viennent d’Afrique du Sud et des Philippines. Ils ne parlent l’anglais et/ou le français qu’en 2e ou 3e langue. Il existe cinq classes de statuts différents: les expatriés, les classes A, B, C, D. Il existe également des sous divisions comme C, 2C, D, 2D etc. Toutes sont assorties ou non d’avantages/désavantages divers. Les critères de classement sont très aléatoires et bafoués. En fonction de son statut, le travailleur a accès ou non à un logement décent….

C’est ainsi que les cadres sont logés dans l’enceinte de la mine dans des maisons équipées en eau et électricité, raccordées à l’égout avec des superbes jardins entretenus par le personnel de la mine. Ne parlons pas des équipements collectifs: piscine, salle de sport, supermarché, clinique etc… Les cadres de seconde zone sont logés dans des maisons préfabriquées dans une cité située entre la mine et le village.

Conditions scandaleuses

La majorité des travailleurs vit dans les maisons en banco (terre argileuse et paille hâchée). Elles sont soit louées soit construites par les travailleurs. Un point commun, elles ne sont pas équipées en eau potable ni en électricité, encore moins reliée à l’égoût. Les travailleurs sud-africains et philippins logent dans de grandes tentes communes sur le site de la mine et y sont parqués durant tout leur séjour. En général, les travailleurs qui construisent doivent emprunter. Bien souvent, après 2-3 ans de travail à la mine, arrive la maladie ou l’accident, qui met la famille en difficulté pour le remboursement de l’emprunt. Comme elle a abandonné la culture, le fils, le frère…doit prendre le relais en travaillant à la mine pour assurer la survie de la famille et le cercle vicieux reprend.

En fonction de son statut, le travailleur a accès ou non à la clinique de la mine, équipée en matériel et à un personnel qualifié. Les travailleurs et les villageois peuvent se rendre au centre de santé communautaire (CSCom) de Sanso pour y recevoir les soins prodigués par un technicien et deux matrones. Ce centre doit assurer le service pour 8 villages soit plus de 23 000 personnes.

Les salaires vont de 60000 FCFA à 600000 FCFA/mois mais généralement ils sont de 60000 FCFA à 150000 FCFA/mois, soit de 75 à 200 euros/mois et sont assortis de primes de production… Ils sont indépendants des formations et qualifications, sauf pour les mécaniciens. Beaucoup de personnes sont ainsi surqualifiées par rapport au poste qu’elles occupent.

Seuls 80 travailleurs sur 500 (environ) de la Somadex, ont un contrat à durée indéterminée. Tous les autres ont des contrats soit à l’essai, soit intérimaires, soit falsifiés, soit faits d’une copie du contrat à l’essai antidaté, soit pas de contrat du tout.

Droits syndicaux bafoués

Le syndicat et son Secrétaire Général ont fait l’objet de campagnes de diffamation. Le Chef du personnel a affiché dans les villages des placards l’accusant de détournement de fonds et de trahisons, alors qu’il a la réputation d’être le premier incorruptible.

Une fois la grève entamée, les pressions n’ont cessé de croître, dont la mise à feu de deux camions de transport de travailleurs, stationnés dans la cour de la gendarmerie, la circulation de milices armées dans les villages et des descentes musclées (avec interrogatoires des familles) dans les maisons et des incarcérations…

C’est ainsi que le 11 août, 5 délégués syndicaux ont été incarcérés pour 5 jours. Le 25 octobre, 30 ouvriers étaient en prison, actuellement, 8 y sont encore. L’un d’entre eux subit des violences et est torturé. Le Secrétaire Général et quelques délégués ont dû choisir la clandestinité…

Bal des vampires

Les multinationales organisent le transport irrégulier de centaines de kilos d’or via le Sénégal, avec la complicité d’un Ministre qui se déplace pour débloquer une situation embarrassante provoquée par un douanier trop scrupuleux.

L’UNTM (centrale syndicale) demande 7,4 millions de FCFA à la SA Morila juste avant les négociations avec les travailleurs grévistes. L’ex Maire achète des bars, une voiture de luxe, des commerces à Bougouni… La SA Morila paie les salaires des gendarmes, finance la plus grande mosquée de la région, achète les sacrifices (bœuf et moutons), le folklore et les traditions locales… Le Ministre des Mines fait croire à la population que « le soleil tue les microbes du cyanure » et que la mine est une « réelle opportunité pour sortir le Mali de la pauvreté »…

Rangold, Anglogold, Bouygues continuent à stocker à ciel ouvert, les plus grandes armes de destruction massive… le cyanure, l’arsenic… qui se distillent lentement dans le sol malien, se vaporisent sur une population.. «noire», sans oublier le cheptel et les cultures.

Solidarité indispensable

Sadiola, une mine d’or de l’Ouest Malien, dont l’exploitation a débuté bien avant Morila, a vécu les mêmes schémas d’exploitation et tourments. A Loulo, une autre mine est en cours d’exploitation, les ouvriers sont informés de la situation à Morila via les mouvements non étatiques et la radio libre Kayira. Kayira est la seule radio à relayer la situation des grévistes de Morila comme celle des paysans spoliés ou expropriés de leur terre par l’Office du Niger ou encore les révoltes des cheminots contre la privatisation des chemins de fer. Malgré les tentatives de déstabilisation (coupure de courant, journées d’emprisonnement et autres tracas), les animateurs de radio Kayira tentent, avec de petits moyens, d’assurer une information claire et complète.

La liberté de parole au Mali, passe par les mouvements citoyens, la presse alternative et internationale… Décidément, nos médias n’ont pas les yeux dans les poches (sinon dans la leur)!

Correspondant de Radio Kayira