Salaire minimum légal en débat, de Genève à Berlin...

Salaire minimum légal en débat, de Genève à Berlin…

Dans notre dernier numéro, Jean-Michel Dolivo évoquait le débat lancé dans le cadre de notre coalition nationale «A Gauche toute!» concernant le lancement d’une initiative populaire fédérale pour un salaire minimum légal qui doit faire l’objet d’une décision au mois de septembre.

A signaler dans ce domaine que le débat, à une bien autre échelle, mais sur la même question, se mène en Allemagne également. Le 8 mai, la fraction parlementaire au Bundestag de Die Linke tenait une journée d’auditions et de débat sur le même thème. Celle-ci s’inscrit dans le contexte d’une campagne nationale sur la question d’un salaire minimum légal, dont on trouve des reflets sur le site www.mindestlohn.de. Une conférence sur le salaire minimum a été organisée les 26 et 27 avril derniers par les syndicats des services Ver.di et par le NGG (secteur de l’alimentation et de la restauration).

A quel niveau?

Le 2 mai la direction de l’Union syndicale allemande (DGB) se prononçait pour un salaire minimum légal qui fixe un seuil absolu «au dessus du niveau de pauvreté» pour un emploi à plein temps et qui s’appliqueraient légalement dans les secteurs sans conventions ou dans lesquels les accords de branche n’atteignent pas ce niveau. Cette proposition sera soumise au Congrès de la DGB fin mai.

Le niveau des salaires minimums revendiqués fait débat: du côté du Linkspartei on évoque un niveau introductif à 8 euros de l’heure, du côté du DGB on parle de 7.50 euros… dans un premier temps. Des voix s’élèvent défendant un salaire minimum à 10 euros. Mais le débat et la bataille autour d’un salaire minimum légal est largement engagée… ce qui n’est – pour l’heure – pas le cas dans le mouvement syndical en Suisse.

Pourtant, l’initiative en projet d’«A gauche toute!» a déjà suscité des échos dans les milieux syndicaux. A Genève notamment, où il y a deux mois le Syndicat interprofessionnel des travailleuses et travailleurs (SIT) organisait une réunion bien fréquentée de son «Conseil interprofessionnel», ouverte à tous les militant-e-s et au public, pour débattre de ce thème, répondant d’ailleurs par là à un mandat du Congrès du SIT de 2004 et avec comme invité l’économiste Yves Fluckiger, directeur de l’observatoire de l’emploi de l’Uni de Genève.

Objections et réponses…

A l’ordre du jour un débat largement axé sur la possibilité ou non d’apporter des réponses aux objections «traditionnelles» au salaire minimum légal émises du côté des syndicats: le fait qu’un salaire minimum légal national pourrait susciter un alignement vers le bas sur les salaires pratiquées dans certains cantons, que pour Genève par exemple avec sa cherté en matière de loyers et d’assurance-maladie, etc. l’imposition d’une norme de ce type serait particulièrement problématiques, la difficulté à mobiliser et à créer un rapport de force «général» et national pour imposer une fixation à un niveau acceptable, contrairement à la possibilité de mobilisations sectorielles, etc.

Georges Tissot du SIT est intervenu pour replacer la question dans le contexte du débat syndical sur les mesures contre la sous-enchère salariale, qui s’est développé en lien avec la question de la libre-circulation, posant la question de savoir si un salaire minimum généralisé ne fait pas partie des mesures nécessaires au-delà des «mesures d’accompagnement» adoptées. Pour exprimer aussi l’avis qu’en cas d’initiative dans ce sens, celle-ci devrait prévoir expressément des salaires cantonaux ou régionaux et que la loi devrait comporter un mécanisme de réévaluation «automatique» connecté à l’évolution des salaires et du coût de la vie»…

Limites des CCT

Sur le plan économique, Yves Fluckiger, après un exposé sur la situation des bas salaires et des working poor, en Suisse a plaidé pour une intervention nécessaire et défendu certaines idées, prenant le contre-pied de la vulgate néolibérale, notamment le fait qu’à travers la hausse du taux de rotation de la main d’œuvre qu’ils induisent, les bas salaires sont un facteur de hausse du chômage et de réduction de la productivité, que les bas salaires réduisent les incitations des entreprises à investir dans la formation, comme aussi l’efficacité des mesures de réinsertion professionnelle des chômeurs-euses… Il a rappelé la campagne de l’USS «Plus aucun salaire au-dessous de 3000 Fr.», en évoquant ses effets positifs (lancer le débat, mettre l’accent sur les bas salaires dans les négociations), mais aussi ses limites, seuls 50% des salarié-e-s du secteur privé étant couverts par une CCT et… elles ne contiennent de loin pas toutes un salaire minimum… Ainsi selon lui la question d’un salaire minimum légal mérite d’être posée, à ce propos Yves Fluckiger a souligné qu’un tel salaire constituerait un pas vers une plus grande équité des salaires entre hommes et femmes et que si les problèmes de pauvreté ne peuvent être réduits par cet unique moyen, une telle politique y contribuerait de manière significative…

Effet positif sur l’emploi

Il a également expliqué le résultat d’études empiriques récentes montrant un effet positif d’une politique de salaire minimum et de hausse de celui-ci sur l’emploi, contrairement aux idées reçues par une majorité d’économistes, qui voudraient qu’en augmentant l’offre de travail et en réduisant la demande de la part des entreprises le salaire minimum serait générateur de chômage…

A propos du mécanisme à introduire pour la fixation du niveau d’un salaire minimum Yves Fluckiger a été dans le sens d’un «accrochage» de celui-ci au salaire médian. Le taux à retenir dans la loi relevant évidemment d’un rapport de forces politique…

Au final,ce débat n’a évidemment pas débouché sur une décision de principe du SIT, mais il contribué a donner du grain à moudre pour la mise au point du projet d’initiative AGT et augure du soutien possible d’une force syndicale significative… A suivre!

Pierre VANEK