Pauvreté selon Couchepin: Circulez, y a rien à voir!

Pauvreté selon Couchepin: Circulez, y a rien à voir!

Selon un récent communiqué de l’Office fédéral de la statistique (OFS), la Suisse s’est enfin dotée d’un outil statistique permettant de recenser les bénéficiaires de l’aide sociale. Si l’on peut saluer cette «innovation» au XXIème siècle pour notre pays, l’interprétation qu’en fait Couchepin doit être dénoncée. En effet, le ministre de l’intérieur s’est immédiatement caché derrière ces données statistiques pour annoncer que 97% de la population n’a pas besoin d’aide sociale!

Pourtant, les objectifs cités par l’OFS sont plus ambitieux puisque pour cet office il s’agira, entre autre, de mettre en évidence les lacunes de notre système d’assurances sociales, d’identifier les problématiques émergentes en matière de paupérisation, de fournir des informations sur la corrélation entre travailleur-euse-s pauvres et aide sociale; mais surtout de favoriser une affectation des ressources qui soit efficace et qui réponde aux besoins.

La question centrale est de savoir si effectivement nous devons nous cantonner à compter les plus pauvres. Car les chiffres, insuffisants, ne reflètent qu’une approche quantitative d’une problématique, alors que celle qui nous concerne demande des réponses qualitatives et adaptées à l’évolution de notre société: par exemple l’augmentation massive des jeunes sans formation, et des familles monoparentales qui viennent frapper à la porte de l’aide sociale.

En 2003, ce même office a publié une étude intitulée «travailler et être pauvre» qui démontrait que 250 000 personnes travaillaient mais restaient pauvres. Si l’on y ajoute les enfants, les conjoints, ou d’autres personnes à charge, 535 000 personnes étaient considérées comme pauvres, à savoir près de 8 % de la population!

Réalité déjà intolérable…

Quels que soient les chiffres, la pauvreté croissante reste une réalité intolérable. Pour grande partie, cette pauvreté est à mettre en relation avec une détérioration du marché de l’emploi. Ce dernier, malgré les reprises économiques, ne parvient plus à intégrer les «laissé-e-s pour compte» puisque les cycles économiques sont de plus en plus courts et que chaque cycle expulse de nouvelles personnes vers le système de sécurité sociale: l’AI, l’AVS, le chômage ou l’aide sociale.

De plus, l’OFS ne fait qu’un recensement partiel. Par exemple, une frange de la population en âge AVS est oubliée: celle qui n’a jamais cotisé à la prévoyance professionnelle: afin de couvrir le minimum vital, elle devrait faire appel aux prestations complémentaires à l’AVS. Ces prestations complémentaires sont soumises à condition de revenu. Pourtant, dans la réalité, une partie de cette population se gêne de faire appel à des prestations qu’elle estime comme relevant de l’aide sociale. Ceci peut être encore plus prégnant dans les régions rurales, comme le laissent supposer les statistiques de l’OFS.

Par ailleurs, avec la précarisation du marché de l’emploi, l’augmentation des contrats de travail temporaire et le développement des temps partiels, la population couverte par la Loi fédérale sur la prévoyance professionnelle (LPP) est en diminution constante. Les bénéficiaires de l’aide sociale, les chômeurs-euses sans droits aux prestations de l’assurance chômage ne cotisent pas plus à la LPP. Les prestations complémentaires ont donc encore de beaux jours devant elles!

Dans le même ordre d’idée, depuis le début de l’année 2006, la majorité de droite cherche à faire baisser l’accessibilité de l’aide sociale en abaissant les seuils d’entrée. Cette tendance permettra à terme également de faire baisser le nombre de personnes recensées par l’OFS. Plus le montant pour la couverture des besoins vitaux est bas, moins important sera le nombre de personnes prises en charge par les structures cantonales d’aide sociale! Et le tour est joué!

En abaissant le montant de l’aide sociale, les milieux patronaux ont une nouvelle marge pour réduire les coûts salariaux: «Suisse prospère» pour les riches toujours plus riches, «Suisse galère» pour celles et ceux qui survivent avec des bas salaires.

Et minimum vital raboté!

En fait, la politique néolibérale restreint le rôle de l’Etat tout en augmentant la responsabilité individuelle. La recette est incarnée ici par la politique de contractualisation des droits sociaux tant au niveau fédéral que cantonal: les bénéficiaires de l’aide sociale, devront s’engager dans des programmes d’insertion sociale ou socioprofessionnelle comme contre-partie exigée. Celles et ceux qui refuseront seront sanctionnés financièrement sur un minimum vital déjà raboté. Marché de dupes, s’il en est, puisque il est d’ores et déjà évident que les alternatives et les programmes en question n’existent pas en nombre suffisant.

Cette même logique prévaut déjà en matière de chômage puisque des pénalités sont infligées aux assuré-e-s qui «manquent à leurs devoirs». Une nouvelle fois, les milieux économiques, eux, ne sont pas sanctionnés lorsqu’ils licencient alors que les actionnaires engrangent des bénéfices!

Pour lutter contre la pauvreté, nous devons relancer la résistance sur plusieurs fronts: sur le front syndical pour lutter contre les licenciements et contre la dégradation des conditions de travail, sur le plan social pour freiner le démantèlement des prestations sociales en mettant des crans d’arrêt au rouleau compresseur néolibéral. Pour la première fois, les bénéficiaires de l’aide sociale se sont organisés pour lutter contre cette politique anti-sociale. En amont, une bataille pour des minima salariaux par branche et par région permettrait de reprendre l’initiative contre la paupérisation rampante et croissante.

Jean-Daniel JIMENEZ