Pendant la canicule rafraîchissez-vous les idées!





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Pendant la canicule rafraîchissez-vous les idées!

Pour vous permettre de ne pas bronzer idiots cet été, nous avons demandé à la librairie «La Brèche», à Paris, de vous présenter quelques ouvrages dont la lecture vous donnera le sentiment gratifiant de mieux comprendre le monde une fois le livre refermé! A noter que la librairie «La Brèche» accepte désormais les commandes en ligne sur son site:

www.la-breche.com/catalog/index.php.

Femmes, genre et sociétés

Regroupés autour de six thèmes (concept et problématique, corps, famille, marché du travail, pouvoir-politique-mobilisations et débats contemporains), les 49 articles composant ce livre offrent un large panorama des questionnements et recherches actuelles autour de la notion de genre.

Il n’est évidemment ni possible, ni utile de résumer un tel ouvrage. Les points de vue sont pluralistes, quelquefois opposés, les sujets traités ne le sont pas de manière homogène. Les auteur(e)s sont des universitaires, le plus souvent des sociologues. Il est dommage que les savoirs des collectifs féministes et des syndicalistes n’aient pas été mis à contribution.

Nous ne signalerons que l’article de Danielle Kergoat «Rapport sociaux et division du travail entre les sexes» qui résume particulièrement bien les concepts et la problématique générale.

Cet ouvrage concourt à regrouper les connaissances et devrait servir à animer des débats sur les conséquences des divisions sexuelles dans l’ensemble des champs sociaux, dans les pratiques émancipatrices ainsi que dans les formulations de nos aspirations à une autre société.

Mieux pris en compte, les points de vue de genre modifieraient certaines revendications mises en avant dans les mobilisations sociales, comme par exemple la revendication du droit à la retraite, avec 37,7 annuités à 60 ans, qui unifie les salariés du privé et du public mais écartent les salarié(e)s d’une retraite à taux plein (la majorité des femmes ne peuvent atteindre ce nombre d’annuités à 60 ans – ni plus tard pour une part d’entre elles – pour cause de discontinuité dans le travail – congés de maternité, chômage, temps partiel, etc.); ou la défense de l’imposition unipersonnelle (contre l’imposition par couple) qui donnerait un statut, autre que celui de conjointe, à de nombreuses femmes.

Femmes, genre et sociétés – L’état des savoirs, Sous la direction de Margaret Maruani, La Découverte, Paris 2005

Catastrophes naturelles, conséquences sociales

Cet ouvrage revient sur les événements tragiques suite au tsunami de décembre 2004. Il est nécessaire de comprendre que si les catastrophes sont «naturelles», leurs conséquences sont à mettre en rapport avec l’organisation concrète des sociétés. Les auteurs nous montrent comment les politiques imposées par le FMI et la Banque mondiale ont fragilisé les sociétés, y compris dans les modifications des espaces géographiques «Les rivages protégés naturellement par les mangroves ou les récifs coralliens ont été nettement moins affectés par le tsunami que les régions qui en sont dépourvues» (p. 148).

Les réactions de solidarité à travers le monde, l’aide ponctuelle, quelque fois inappropriée (cf. l’envoi de médicaments inutiles, qui de plus peut déstabiliser les industries pharmaceutiques locales et renforcer à terme les dépendances: p. 58) ne doivent pas faire oublier que le montant des dons est sans commune mesure avec ceux de la dette. Celle-ci, non seulement n’a pas été abolie mais continue d’augmenter. Les moratoires accordés, qui ne dispensent pas du paiement des intérêts, pourraient se révéler encore plus coûteux à terme pour les populations.

Les auteurs nous montrent comment la mondialisation néolibérale est catalyseur de désastres écologiques, économiques et sociaux (chap. 2). L’insertion des pays, touchés par le tsunami, dans la mondialisation capitaliste déforme les économies, appauvrit toujours plus ces pays (les transferts nets de capitaux se font au bénéfice des pays dominants) et fragilise la majorité des populations.

L’endettement et le service de la dette, la priorité mise sur l’exportation de matières premières agricoles et l’abandon des subventions aux produits de première nécessité (riz, eau, combustible, etc.) ont des conséquences profondes sur l’organisation sociale des sociétés.

«Le désengagement général de l’Etat se traduit au final par une sclérose, voire une suppression pure et simple, des organismes susceptibles de réduire les risques, d’alerter efficacement ou de répondre à l’urgence» (p. 83).

Les auteurs complètent cet ouvrage par des analyses détaillées des évolutions de l’Indonésie, de l’Inde, du Sri Lanka et par des notices sur d’autres pays dits en voie de développement. Le tsunami fait déjà parti du passé et de l’oubli, l’annulation totale de la dette reste d’une actualité brûlante.

Damien Millet, Eric Toussaint, Les tsunamis de la dette, CADTM & Editions Syllepse, Paris 2005

Mieux comprendre les OGM

Le nouveau livre d’ATTAC ne traite pas de tous les problèmes liés à la transgenèse mais des risques liés à l’utilisation des plantes transgéniques dans l’agriculture et l’alimentation.

La première partie du livre revient sur l’absence de débat scientifique sur les chimères génétiques (nom plus exact des organismes génétiquement modifiés), sur un certain nombre de conséquences largement déniées: mutations des prédateurs (une étude indique à quelle rapidité apparaissent des pyrales1 résistantes à l’insecticide Bt censé protéger les céréales après modification de leur matériel génétique), pollution des eaux et du sol, absence d’augmentation des rendements (le tableau cité en p.37 indique non seulement une baisse des rendements mais de plus des surcoûts pour le «soja Roundup Ready»), etc.

Les grandes entreprises visent non seulement à augmenter leurs profits et à réduire l’indépendance des paysans par des liens contractuels renforcés (obligation d’acheter les semences chaque année), mais aussi à transformer les applications actuelles en choix à très long terme, voire définitifs.

L’ensemble des réalités liées aux OGM est présenté clairement, avec une volonté d’explications détaillées, prenant en compte un maximum d’informations disponibles et en reliant toujours les données actuelles aux futures conséquences envisageables.

En absence de débats démocratiques et sans évaluation, indépendante des firmes agroalimentaires et laboratoires pharmaceutiques, des risques réels ou potentiels, (il est significatif, et ATTAC a bien raison d’insister sur cette problématique, que les grandes compagnies d’assurances ne veulent pas couvrir les risques liés aux OGM), les actions de désobéissances civiques qui ont été engagées doivent se poursuivre.

Une fois de plus ATTAC joue un rôle irremplaçable d’éducation populaire.

ATTAC, Les OGM en guerre contre la société, Mille et une nuits, Paris 2005

  1. Papillon crépusculaire dont les chenilles sont souvent nuisibles aux cultures (vigne, maïs, etc.)

Classe ouvrière, salariat, luttes des classes

La dernière livraison des Cahiers de Critique communiste comporte quatre articles revenant sur l’analyse marxiste (Antoine Artous), les questions relatives aux classes sociales aujourd’hui (Henri Wilno), les rapports de classes et les rapports sociaux de sexe à l’épreuve de la mixité professionnelle (Sabine Fortino) et le Capital globalisé, travail atomisé (Patrice Cuperty).

L’article d’A. Artous part des fondements de l’analyse marxiste des classes sociales: le prolétariat comme effet du rapport d’exploitation capitaliste. Le capitalisme est une forme nouvelle d’exploitation de travailleurs «libres». La production s’organise autour du «travailleur collectif» qui ne peut être compris comme une simple juxtaposition de procès de travail individuel, ce qui implique division du travail et hiérarchisation de savoir. L’auteur analyse le statut des nouvelles couches salariées (en revenant sur les définitions du travail productif) et les effets contradictoires de la prolétarisation. A partir de «l’existence du prolétariat à travers les luttes des classes», A. Artous revient sur des débats actuels comme la «multitude» d’A. Négri ou sur la liaison avec les «mouvements sociaux».

Cet article d’une quarantaine de pages est remarquable par ses qualités pédagogiques, sa rigueur dans l’approche théorique et son ouverture aux débats d’hier et d’aujourd’hui. Nous sommes ici très loin de certaines vulgates marxistes ou de certaines réductions sociologiques.

Le renforcement du salariat s’est accompagné d’une forte diversification. L’article d’Henri Wilno traite plus particulièrement des classes sociales aujourd’hui, de la place des ouvriers, des notions de salariat et de prolétariat.

Sabine Fortino analyse certaines conséquences du développement de la mixité professionnelle, en insistant sur les ruptures et les continuités de la domination masculine et les clivages au sein des femmes. Un chapitre sera consacré au déni du genre dans la plupart des organisations syndicales.

Le livre se termine par l’étude de Patrice Cuperty sur les nouvelles méthodes d’exploitation de la force de travail dans le «capital globalisé» et leurs conséquences en termes d’atomisation et de précarisation du travail

Un nouvelle fois, un cahier porteur de débats, ancré dans une certaine tradition théorique et ouvert aux nécessaires nouvelles élaborations, pour comprendre et agir sur le monde.

Didier EPSZTAJN

Classe ouvrière, salariat, luttes des classes, Les Cahiers de Critique communiste, «Arguments et mouvements», Editions Syllepse, Paris 2005.


Jean Jaurès, rallumer tous les soleils

Dirigeant du parti socialiste SFIO, Jean Jaurès est l’une des grandes figures du socialisme d’avant 1914. Sa fin tragique (il fut assassiné le 31.7.1914) lui confère un statut de martyr, récupéré par les directions social-démocrates1.

Député républicain, Jaurès rejoignit à la fin du XIXe siècle le mouvement socialiste. Il s’engagea notamment pour la défense des mineurs de Carmaux et pour la révision du procès Dreyfus (un officier juif alsacien, accusé d’espionnage pour l’Allemagne, sur la base d’un dossier truqué par des officiers d’extrême-droite). A cette occasion, il défendit une présence socialiste au sein du gouvernement2, position qui suscita de vifs débats au sein de la IIe Internationale3.

Un ouvrage récent permet de connaître la pensée de Jaurès. Il contient trois parties: «L’idéal», «La République et le socialisme», «La guerre et la paix». Ainsi, on y trouve le débat tenu en 1900 à Lille avec Jules Guesde (dirigeant du Parti ouvrier, se réclamant du marxisme), connu sous le titre: «Les deux méthodes». Il est intéressant de lire la conclusion de Jaurès affirmant «vouloir faire d’abord œuvre de réforme et dans la réforme, œuvre commençante de révolution, car je ne suis pas un modéré, je suis avec vous un révolutionnaire» (p. 482). Parmi d’autres textes, les interventions de Jaurès pour la laïcité, contre le colonialisme et le militarisme.

Il convient cependant d’émettre des réserves sur la présentation de Jean-Pierre Rioux, qui cherche à approfondir le fossé entre les conceptions de Jaurès et celles de Marx. Ainsi, Rioux rebaptise «Marx se trompait» un texte de décembre 1901, intitulé «Question de méthode» (alors que la majorité des autres textes sont publiés sous leur titre origine3). Mieux vaut donc passer et se concentrer sur l’étude des textes de Jaurès eux-mêmes.

Hans-Peter RENK

Jean Jaurès, Rallumer tous les soleils (choix de textes). Paris, Omnibus, 2005

 

  1. Dernier avatar: le no 204 (mai 2006) de la revue économique Bilan révèle que le conseiller d’Etat neuchâtelois Jean Studer ose, sans aucune pudeur, se réclamer de Jean Jaurès…
  2. En 1898, le gouvernement Waldeck-Rousseau «de défense républicaine» comptait dans ses rangs le socialiste Alexandre Millerand (qui devait ensuite virer très à droite) et le général de Gallifet, qui s’était tristement illustré lors de la «semaine sanglante» de mai 1871 (chute de la Commune de Paris).
  3. Rosa Luxembourg, Le socialisme en France (1898-1912). Paris, Belfond, 1971