Pas d'argent pour l'intégration des réfugiés

Pas d’argent pour l’intégration des réfugiés

Au lendemain du double vote
xénophobe du 24 septembre, le Bureau
d’Intégration des Réfugiés pour Demain
(BIRD) est en danger imminent de fermeture. Le BIRD a commencé
ses activités en 2002. Son action a profité à
plusieurs centaines de réfugié-e-s reconnus par la
Confédération et résidant à Genève.
Ce projet, financé à 80% par Berne, court le risque de
disparaître si, d’ici fin octobre 2006, il
n’obtient pas un cofinancement stable au niveau cantonal. Tout au
long de 2006, une intense campagne a été menée
pour sauver financièrement ce projet, mais sans résultat
positif. La vague de fond contre les étrangers et les
réfugié-e-s explique ces difficultés qui affectent
aujourd’hui les efforts d’intégration promus par le
BIRD. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Alfredo Camelo,
l’un des fondateurs et responsables de ce programme.


En tant que cofondateur et coordinateur du BIRD, peux-tu nous expliquer le sens de cette démarche?

Le BIRD est le fruit d’une collaboration interdisciplinaire entre
Caritas-GE (secteur réfugié-e-s) et Pluriels (Centre de
consultations et d’études éthno-psychologiques pour
migrant-e-s). En 2000, nous avions mené une recherche pour
comprendre pourquoi un nombre croissant de réfugié-e-s
sollicitaient des consultations psychologiques pour eux, elles et leur
famille. Cette recherche a été effectuée sur cent
dossiers suivis par Caritas. Les paramètres utilisés nous
ont permis d’observer l’évolution de
l’intégration des réfugié-e-s dans la
décennie 90. Les résultats obtenus, assez alarmants, nous
ont conduits à la conclusion que la souffrance psychologique et
existentielle, ainsi que la vulnérabilité d’une
grande partie des réfugié-e-s, étaient
liées à l’impossibilité de se projeter de
manière satisfaisante dans leur vie présente et future en
Suisse. Ceci particulièrement en ce qui concerne leur
intégration professionnelle et leur autonomie sociale. Nous
avons alors passé de la recherche à l’action en
proposant à l’Organisation Suisse d’Aide aux
Réfugiés un ensemble de mesures pragmatiques pour
remédier à cette situation.

En quoi votre démarche se différencie-t-elle de celle
des organisations caritatives d’aide aux
réfugié-e-s?

Nous partons de deux idées: le respect de la dignité des
personnes et des dispositions légales en vigueur. Nous nous
distancions donc éthiquement et pratiquement du paternalisme et
de «l’assistancialisme» social. Nous refusons la
fatalité de la précarité, qui parasite
implicitement la représentation sociale et professionnelle de
l’accompagnement aux réfugié-e-s. En revanche, ceux
et celles-ci devraient avoir le droit (pour la première fois) de
suivre une voie conduisant à une vie professionnelle en Suisse,
comme les autres citoyen et citoyennes. Il s’agit d’une
question de droits et de devoirs

Quelle est la situation du BIRD aujourd’hui et quelles actions concrètes mène-t-il?

BIRD compte aujourd’hui 5 professionnels, assistant-e-s sociaux
et psychologues à temps partiel, qui assistent les
réfugié-e-s reconnus (permis «B» et
«F» réfugiés). L’objectif est
d’arriver à construire des processus
d’intégration professionnelle adaptés aux
expériences et aux acquis antérieurs à
l’exil. Nous tenons compte de l’offre d’emploi et des
formations disponibles dans le canton. Nous travaillons afin que chacun
et chacune puisse reconstruire sa vie de façon satisfaisante
pour soi et pour la société. Nous accompagnons ainsi
gratuitement près d’une centaine de
réfugié-e-s par an. Ce processus dure de quelques mois
à trois ou quatre ans, en tenant compte de la diversité
des cultures et des trajets de vie de chacun et de chacune.
L’action du BIRD est centrée sur la recherche d’un
emploi satisfaisant ou sur la définition d’un projet de
réorientation professionnelle valable et admis en Suisse:
formations en emploi, au moyen de stages ou par des études
nouvelles (formation continue pour adultes, apprentissage, HES ou
université). Nous visons l’autonomie de la personne pour
qu’elle sorte du circuit de l’aide et de
l’assistance. Il faut savoir qu’un couple de
réfugié-e-s avec deux enfants en bas âge, qui ne
dispose d’aucune autonomie financière après 5 ans,
va coûter à la collectivité cantonale entre 64 et
69 mille francs par année. Le BIRD est donc aussi une
réponse pour la collectivité. En effet, avec les 80
à 100 mille francs dont le BIRD a besoin annuellement pour
vivre, plus l’apport fédéral qui est
déjà assuré, notre Bureau travaille à
l’intégration professionnelle d’une centaine de
réfugié-e-s par an, dont beaucoup ont charge de famille.

Pourquoi le BIRD est-il sur le point de fermer ses portes?

La Confédération a assuré 80% de son budget
jusqu’à la 5e année et 70% à partir de la 6e
année. Le reste devait être trouvé par le projet
lui-même. Après de multiples tentatives infructueuses,
nous avons frappé aux portes du canton, en proposant à
son Bureau d’Intégration des Étrangers (BIE) et au
Département des Institutions, qu’ils assurent les
ressources manquantes en intégrant le BIRD au BIE. En effet, le
BIRD est une structure opérationnelle qui donne de très
bons résultats. Notre proposition coïncidait avec les
préoccupations du Conseil d’Etat en matière de
politiques d’intégration via le BIE (cf. Feuille
officielle du Canton de Genève du 25 août 2006). En
outre, l’expérience nous a montré que les
problèmes d’intégration des
réfugié-e-s sont semblables à ceux des Suisses de
retour de l’étranger ou des conjointes et conjoints
étrangers de personnes suisses. Pour cela, nous avons
proposé au canton qu’en contrepartie de son appui
financier, notre Bureau soit mis aussi à la disposition de ces
personnes depuis janvier 2007.

Malheureusement, la réponse du Conseiller d’Etat
socialiste Laurent Moutinot, datée du 27 septembre, bien
que témoignant de son intérêt pour notre
démarche, a été négative, en raison de la
situation financière du canton. Ainsi, cinq ans
d’expérience en matière d’intégration
semblent condamnés à prendre fin. Ce manque de politique
cantonale cohérente en matière d’intégration
est préoccupant, surtout de la part d’un gouvernement
à majorité Verts-PS. Il jette une ombre sérieuse
sur l’avenir des réfugié-e-s parmi nous.

Entretien réalisé par la Rédaction