Troubles psychiques: c'est cette révision qui est inadaptée et qui consacre les préjugés
Troubles psychiques: c’est cette révision qui est inadaptée et qui consacre les préjugés
Nous publions ici, un article de Shirin HATAM, juriste. Il se fonde sur
sa contribution lors dune journée détude
organisée par le CSP le 10 octobre à Genève sur le
thème de «Linsertion sociale et professionnelle des
personnes souffrant de trouble psychiques.» Lauteure est
intervenue sur la question de la révision en cours de
lAssurance Invalidité. Son analyse sobre de cette
révision, permet un constat accablant en particulier du
point de vue des malades psychiques qui justifie pleinement le
référendum.
Lassurance invalidité aura accumulé une dette de 9
milliards pour fin 2006. La Confédération entend diminuer
ce déficit en réduisant de 30% le nombre des nouvelles
rentes allouées pour troubles psychiques. En effet, les
invalides psychiques qui sont en général jeunes et
rejetés par un marché du travail incapable de
«faire avec» leur handicap, coûtent longtemps
à lassurance.
Lidée maîtresse de la 5e révision est de ne
plus laisser les médecins traitants envisager trop longuement la
maladie de leurs patient-e-s sous langle de la santé, du
rétablissement et de la souffrance subjective. Il faudrait au
contraire donner aux services de lAI le pouvoir
dappréhender immédiatement la maladie sous
langle de la capacité de travail afin de maintenir la
personne dans son emploi sans la laisser senliser dans une
identité de malade.
Emballage cadeau de la 5e révision
Lidée que la réintégration dans le travail
rémunéré doit primer sur loctroi
dune rente, dont leffet est souvent de
désocialiser encore un peu plus la personne, a trouvé un
écho favorable et un assentiment consensuel des milieux
intéressés. Cest ainsi que diverses mesures
précédant lexamen du droit à la rente et
visant le maintien dans le monde du travail sont prévues par la
5e révision. Il sagirait daider et soutenir les
personnes menacées dinvalidité par des mesures
dinsertion afin quelles puissent continuer à
participer dignement à la vie collective en apportant à
la société le fruit de leurs oeuvres.
«Cadeau» inadapté à la situation actuelle
Ce qui semble être un cadeau offert aux personnes, se fonde en
réalité sur une idée dépassée de la
valeur intégrative du travail salarié. La crise
économique et les mutations rapides du monde du travail mettent
au rebut des individus en pleine forme et largement
diplômés. On voit mal comment ce même monde
accueillera des individus fragiles dont les comportements peuvent
être imprédictibles. Il y a aussi une certaine hypocrisie,
sinon un angélisme coupable à exiger des individus
quils sinsèrent dans un monde qui les a
déjà disqualifiés. Enfin la 5e révision
néglige de prendre en compte le fait que cest souvent le
travail et son organisation brutalisante qui favorisent la souffrance
psychique donnant lieu in fine à des rentes
dinvalidité.
Dautre part, un regard même distrait, jeté sur la
société actuelle démontre que
lintégration passe davantage par la possibilité de
consommer des biens, des loisirs partagés ou de la culture que
par le travail salarié. Les riches oisifs étant
manifestement mieux «intégrés» à la
vie de leur cité que les working poor endettés et parfois
sans abri, il serait peut-être temps de trouver dautres
modes dintégration que le travail à tout prix,
pardon, à tout salaire!
Enfin, les mesures instaurées par le 5e révision, qui
dépossèdent systématiquement
lassurée de toute maîtrise de sa vie en le
soumettant à des menaces sur ses moyens dexistence, sont
en contradiction massive avec les valeurs prônées par la
Confédération dans sa stratégie nationale de la
santé de février 2004. Elle constatait alors que
cest le sentiment de maîtriser son existence qui conduit
à une meilleure santé psychique.
Points saillants de la 5e révision
Lidée de la 5e révision est de saisir la personne
avant quelle ne risque de devenir peut-être invalide,
à la suite dune maladie ou dun accident, pour
lobliger à saider à maintenir sa
capacité de travail. A cet effet plusieurs moyens sont mis en
oeuvre:
Obligation accrue de collaborer tout au long de la procédure sous menace de refus de rente
Lassuré-e est tenu de faire tout ce qui est
«raisonnablement exigible», soit tout ce qui ne porte pas
atteinte à sa vie ou à sa santé, y compris un
changement de profession avec baisse de salaire, pour éviter
quune maladie ou un accident évolue vers
linvalidité. Il doit par exemple accepter de se soumettre
aux traitements médicaux qui lui sont imposés, sous
menace de refus de rente. Sous la même menace, il doit faire des
efforts pour sadapter à son poste de travail, alors
même que son employeur ne peut pas être contraint
dadapter un poste, par hypothèse pathogène. En
soi, lobligation de collaborer sous menace de sanctions
sévères démontre une méconnaissance crasse
de la maladie psychique que ces mesures sont sensées
prévenir. Lincapacité à agir pour son
propre bien et à se soumettre à des contraintes
administratives tatillonnes est souvent consubstantielle à la
maladie psychique. Les sanctions sont inaptes à obtenir un
comportement raisonnable de la part dune personne en souffrance
psychique invalidante. Au surplus elles sont contraires à
lordre juridique en cas daltération du
discernement due à la maladie, puisque seule une personne
capable de discernement peut juridiquement commettre une faute.
Détection précoce de linvalidité peut-être naissante
Il sagit dune enquête menée par
loffice AI sur dénonciation de lentourage
personnel, professionnel, social et médical du malade.
Labsence de dénonciation peut être
sanctionnée de lemprisonnement ou de lamende selon
les règles générales du droit des assurances
sociales. Cette dénonciation, possible dès le premier
jour dincapacité de travail pour cause de maladie ou
daccident, pose un problème de protection de la
sphère privée et de respect du secret médical,
puisque celuici est levé doffice si le malade
refuse den délier son médecin. La vie
privée et même intime de la personne en arrêt de
travail est dès lors brutalement ouverte à la
connaissance de loffice AI, car lenquête
diligentée par loffice AI porte sur le contexte social,
la situation familiale et professionnelle, les facteurs personnels, les
dettes et la situation médicale.
Le malade peut être convoqué à un entretien avec
son employeur qui saisira loccasion pour apprendre tout ce
quil ignorait encore de son employé-e. Lemployeur
peut licencier le/la malade au terme de cet entretien pourvu
quil respecte les délais légaux. Lorsque
lenquête de détection précoce met à
jour un risque dinvalidité, elle aboutit à une
injonction de se présenter à lAI sous menace
dun refus ultérieur de prestations pour
lassurée qui ne sy plierait pas.
Commencent alors les mesures dintervention précoce destinées à maintenir le malade en emploi
Le but des ces interventions est, soit le maintien du poste, soit la
possibilité dobtenir un nouveau poste compatible avec
laltération de la capacité de travail due à
la maladie ou à laccident, si possible dans la même
entreprise. Le maintien du niveau de salaire ou de qualité du
travail nest en revanche nullement garanti. Au titre des mesures
dintervention précoce, le/la malade ou
laccidenté-e doit se soumettre, sans compensation
salariale, à des cours de formation, à un placement,
à une mesure doccupation ou à une
réadaptation socioprofessionnelle. Sil nest pas au
bénéfice dune assurance maladie perte de gain, le
malade sollicitera durant cette période, ses proches, ses
économies ou lassistance sociale. Limposition de
ces contraintes éducatives auxquelles la maladie psychique ne
permet pas toujours de se plier volontairement, démontre encore
une méconnaissance du trouble psychique et du type de
liberté intérieure quil laisse à
lindividu qui en souffre.
Lintervention précoce est une phase de décision
sur le droit à la rente. Elle peut aboutir à une mesure
de réadaptation visant un objectif concret avec
indemnités journalières. Ce dernier train de mesures
nouvellement inventées vise tout particulièrement les
malades psychiques avec l«accoutumance au travail»,
la «stimulation de la motivation», la «stabilisation
de la personnalité» (excusez du peu!) ou encore la
«socialisation de base», qui doivent permettre à un
malade psychique de recommencer à fonctionner dans le monde du
travail et ce dans un délai dune année.
Cest le lieu de noter que selon le rapport 2005 de
lOffice cantonal des assurances sociales de Genève le
nombre des mesures de réadaptation est en baisse de 14 %. On
augure donc mal de lefficacité de ces mesures, ce
dautant plus quactuellement les malades psychiques au
bénéfice dune rente ont toutes les peines du monde
à obtenir ne serait-ce quun renseignement de
loffice AI sur leur possibilité de travail.
Si la capacité de travail du
malade ne peut pas être maintenue, au moins théoriquement,
à lissue de ces mesures, loffice statuera sur le
droit à la rente
La notion dinvalidité a été adaptée
dans le but doctroyer moins de rentes. Lincapacité
de gain doit désormais être objectivement insurmontable,
et la capacité de gain impossible à rétablir. Il
faut donc que la situation médicale soit stabilisée. Pour
avoir droit à une rente il faut aussi avoir essayé toutes
les mesures raisonnablement exigibles y compris le changement de
profession avec baisse de salaire ou le traitement médicamenteux
avec effets secondaires ne mettant pas la vie ou la santé en
danger. Cette description légale de la situation médicale
ouvrant le droit à la rente méconnaît la nature de
la maladie psychique qui est souvent évolutive et susceptible de
rémissions. Il faudrait au contraire que la rente puisse
être facilement suspendue puis retrouvée pour tenir compte
des périodes durant lesquelles la maladie laisse au malade la
possibilité dexercer ses talents dans le domaine
professionnel.
La 5e révision de la loi sur lassurance invalidité
comporte des lacunes qui compromettent ses buts affichés
Ainsi, aucune mesure de protection contre le licenciement durant les
phases de détection et dintervention précoce
na été prévue. Par conséquent, la
dénonciation des malades à loffice AI aura pour
seul effet de fragiliser leur situation professionnelle. Dautre
part, la LAI nouvelle mouture nétant pas une base
légale suffisante pour contraindre un employeur à adapter
un poste de travail, il ne faut sattendre à aucune
collaboration de ce côté.
A lheure actuelle au demeurant, il est fréquent que les
travailleurs-euses se fassent renvoyer dans les meilleurs délais
dès que lemployeur a connaissance de la nature psychique
de larrêt de travail. Enfin les aides à
lemployabilité instaurées par le 5e
révision ne sont pas des aides au maintien de la capacité
de gain. Cest paradoxal dans la mesure où
linvalidité se définit actuellement comme
lincapacité à réaliser un gain et non comme
la difficulté à effectuer un travail. Paradoxal mais
logique, car la personne qui aura dû se reclasser
professionnellement à un niveau de salaire toujours
inférieur touchera, au terme de son parcours
dadministré-e obéissant, une rente AI et LPP
conforme à son gain diminué contribuant ainsi à
éponger la dette de lAI.
Dans le monde patronal, on suggère déjà
dintégrer les handicapé-e-s en leur versant un
salaire correspondant à leur capacité de rendement (Une
bourse de lemploi à lintention des personnes dont
la capacité de rendement est réduite, Andreas Schibler,
codirecteur de la bourse sociale aux emplois à Bâle, in
Agile Handicap et Politique, Edition 2/06). Cette bonne idée
pourrait ne pas sarrêter aux handicapé-e-s et
toucher les jeunes rêveurs et les vieux ralentis, nous tous en
somme.
Juriste
Titre et inter-titres de notre rédaction