Suprématie juridique

Suprématie juridique : L'UDC colmate le réduit national

Le plus grand parti de Suisse va lancer deux initiatives réactionnaires en vue des élections fédérales de 2015. L’une d’entre elles vise à établir la primauté du droit suisse sur le droit étranger, supprimant toute marge de manœuvre à la politique internationale.

Lors de la conférence de presse du 12 août, les re­pré­sentant·e·s de l’UDC n’ont pas hésité à recourir aux grosses ficelles de la propagande la plus triviale :

 

  • L’amalgame : la conseillère nationale genevoise Céline Amaudruz a commencé par mentionner « finement » quelques faits divers sanglants et le laxisme des tribunaux à l’égard des criminels violents pour ensuite passer à l’inaction du gouvernement en matière d’application des initiatives de l’UDC. Alors que «44000 étrangers durant la seule année 2013, ont violé le Code pénal suisse». Preuve que l’on n’est plus en sécurité chez nous. A cause du laxisme général, gros sacs à linge sale dans lequel on jette le droit international, excuse commode invoquée par les jean-foutre helvétiques.
  • L’hyperbole : lors de son intervention, Christophe Blocher a constaté qu’en Suisse, le souverain populaire est dépossédé de son pouvoir, exactement à la manière des dictatures. On ne sait pas de quand date ce passage resté inaperçu à un régime dictatorial – car ce n’est pas la dictature du capital sur nos vies qu’évoque le double Ex (conseiller fédéral et national) – mais on suppose que cela doit être juste après son éjection du gouvernement…
  • La manipulation : conseiller national (SG) Lukas Reimann utilise, dans son tir de barrage contre la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), des exemples de jugements «complètement à côté de la réalité», comme celui contenu dans «l’arrêt Maruo Espana». Aucune référence n’est donnée. Comme les arrêts de la CEDH sont anonymisés, impossible de savoir de quoi il en retourne. La formulation de la dénonciation de Reimann : «un requérant d’asile criminel peut rester en Suisse afin qu’il puisse voir sa fille de 15 ans» laisse penser qu’un assassin sanguinaire hante les rues de nos cités grâce à la CEDH. Recherches faites, il s’agit d’un ressortissant équatorien qui n’a pu être expulsé, sa fille ayant été intégrée en Suisse durant son enfance et sa scolarité, et dont le crime – odieux, s’il en est ! – est de ne pas avoir eu d’autorisation de séjour.
  • Le mensonge éhonté : à l’appui de sa démonstration sur le détournement ou le non-respect de la volonté populaire par «le parlement, le Conseil fédéral, l’administration, et les tribunaux» (une dictature, on vous dit !), l’UDC n’hésite pas à mentionner l’initiative des Alpes. Le parti le plus proautomobile de Suisse favorable à cette initiative : quel souffle !

 

En s’en prenant au pouvoir des juges étrangers (réveillez-vous, fils de Guillaume Tell !), l’initiative de l’UDC donnerait une suprématie absolue à la Constitution nationale dans la hiérarchie du droit, les clauses impératives du droit international mises à part. Autrement dit, une politique d’adaptation jugée raisonnable à l’évolution du droit international ne serait plus possible, sauf à modifier la Constitution. C’est le sens de l’article 56a proposé : «La Confédération et les cantons ne prennent pas d’engagement en droit international qui contreviennent à la Constitution fédérale. En cas de contradiction, ils veillent à l’adaptation des engagements de droit international aux exigences de la Constitution, si nécessaire en résiliant les traités de droit international concernés. […] »

Corsetant l’initiative politique, cette vitrification de l’évolution du droit vise prioritairement, d’après l’UDC, la CEDH. Non seulement parce qu’elle est un organe du Conseil de l’Europe et que ses décisions s’appliquent ici%u200A; mais aussi parce que cela permet de ferrailler contre le « droit-de-l’hommisme », un passe-temps commun à l’UDC et au Front national des Le Pen. Mais c’est bien toute l’architecture des traités et accords internationaux qui est en cause.

 

2015, année é… lectorale

Evidemment, le lancement annoncé d’au moins deux initiatives nationales par l’UDC – l’autre étant celle qui limite l’exercice du « droit » d’asile aux seuls requérant·e·s arrivant par la voie des airs – a beaucoup à voir avec les élections fédérales de 2015. Son premier effet semble bien d’avoir verrouillé toute possibilité d’alliance avec le Parti libéral-radical (PLR). Son président, Philipp Müller, avait pourtant évoqué favorablement cette perspective au début de l’année.

La constitution d’un bloc PLR-UDC aurait pu ainsi recoller les morceaux d’une droite bourgeoise dure, tout en affaiblissant la portée de la création d’un pivot au centre (démocrates-­chrétiens et Parti bourgeois démocrate, voire les Verts libéraux).

Au-delà des péripéties électorales, la discussion sur la manière de (re)constituer une hégémonie bourgeoise stable – pouvant inclure ou non une participation minoritaire des sociaux-libéraux – n’est pas close. Certains, dans les rangs bourgeois, s’en inquiètent, au vu des défis posés par les futures réformes de structure qu’ils jugent nécessaires, au premier rang desquelles la prévoyance vieillesse. C’est le sens de la constatation amère de l’éditorialiste de la NZZ (13 août), René Zeller : «une observation sommaire de l’exercice de boxe dans le vide sur la concordance donne le résultat suivant: tous les partis gouvernementaux en place veulent le maintien de la concordance – mais tous en taillent les règles du jeu de manière à ce qu’elles leur conviennent exactement. Sur le podium de la politique fédérale, la discordance est devenue récemment à la mode». Gageons qu’en désaccord sur l’Europe et les voies du consensus helvétique, UDC et PLR sauront se retrouver entretemps pour présenter la note aux salariés·e·s.

 

Daniel Süri