Israël vote l'apartheid

Israël vote l'apartheid : Les Palestiniens votent pour l'égalité des droits

Les élections anticipées en Israël ont été à la fois insignifiantes et dramatiques. Il n’y aura pas de changement politique. Benjamin Netanyahu, l’actuel premier ministre, est certain de rester à la tête du prochain gouvernement. Plus important encore, parmi les élec-teurs·trices juifs, la proportion entre l’électorat de ce qu’il est convenu d’appeler le « camp de la paix », en faveur de la solution prévoyant deux Etats (Meretz, le nouveau parti « Union sioniste », anciennement travailliste, et dans une moindre mesure les électeurs de Yesh Atid) et celui de la droite demeure pratiquement la même.

Cette stabilité apparente recouvre toutefois des événements spectaculaires : à droite, le parti de Netanyahu, le Likoud, qu’on s’attendait à voir reculer, a regagné du terrain au dernier moment et a obtenu une solide victoire en enlevant des votes à d’autres partis de droite; du côté palestinien, les partis traditionnels, à savoir le parti communiste Hadash, le parti libéral nationaliste Balad, une partie du mouvement islamique et le parti Ra’am-Ta’al d’Ahmad Tibi ont uni leurs forces, et se sont présentés pour la première fois en une seule formation. La nouvelle liste unifiée a obtenu 13 sièges, devenant ainsi le troisième plus grand parti représenté à la Knesset.

 

 

Netanyahu tombe le masque

 

Le redressement de dernière minute du Likoud est survenu lorsque Netanyahu a laissé tomber le masque de la « modération ». Il a juré qu’il n’y aurait pas de « solution à deux Etats »; il a accusé ses oppo­sant·e·s de participer à une conspiration financée par des puissances étrangères pour élire un  gouvernement comprenant des Arabes, et enfin, dans les dernières heures du scrutin, Netanyahu a sonné l’alarme au sujet des «foules d’Arabes qui votent». Bien que dans le fond rien n’ait vraiment changé, l’appel non déguisé de Netanyahu au racisme, le spectacle d’un premier ministre mettant en garde le pays contre des ci­toyen·ne·s qui exercent leur droit de vote, l’engagement explicite à maintenir l’occupation et le fait que ces positions aient été largement récompensées par les élec­teurs·trices, rendent les illusions courantes concernant Israël plus fragiles que jamais.

Le sabotage continu d’une « solution à deux Etats » n’est pas dû à l’intransigeance des Pales­ti­nien·ne·s; il n’est pas non plus l’œuvre d’une minorité extrémiste en marge de la société israélienne. Derrière ce sabotage, se profile plutôt l’opinion dominante, partagée par une grande majorité de la population juive en Israël. Netanyahu a transformé les élections en référendum sur le « processus de paix ». Et le résultat a été un Non clair et retentissant. En outre, alors qu’Israël a l’apparence d’une démocratie libérale dans les limites fixées par la Ligne verte, il lui manque un système de valeurs démocratiques civiques. Une grande partie de la population juive estime que les droits civils, y compris le droit de vote, dont jouissent les Pales­ti­nien·ne·s ayant la citoyenneté israélienne, présentent une menace et sont illégitimes.

 

 

Un régime d’apartheid

 

La manifestation au grand jour de ces faits fondamentaux met à mal la rhétorique internationale de paix  qui cherche à «appuyer le pouvoir d’action» d’une population juive supposée être en faveur de la paix. Elle renforce l’argument majeur du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions, à savoir qu’on ne peut progresser en comptant uniquement sur la bonne volonté d’Israël. Tant qu’Israël n’est nullement pénalisé par la situation actuelle, le public ne voit pas d’inconvénient à ce que le régime d’apartheid persiste, régime dont la réalité se manifeste de manière poignante dans les listes électorales.

Dans la ville d’Hébron en Cisjordanie, qui compte 170 000 habitants, seules 271 personnes – le nombre de Juifs adultes – ont le droit de voter. Pour changer cet état de choses, il est nécessaire d’exercer une pression matérielle importante de l’extérieur. Israël n’est pas «la seule démocratie au Moyen Orient». Non seulement les Pa­les­ti­nien·ne·s sont sous occupation ou en exil et sans droit de vote, mais il y a aussi un lien commun, que Netanyahu a rendu explicite, des deux côtés de la Ligne verte, entre ceux qui ne peuvent pas voter et ceux dont le vote est une menace pour la sécurité nationale. Ce lien renforce l’argument selon lequel la fixation sur des frontières détourne l’attention de la question fondamentale qui est celle de la démocratie et de l’égalité des droits pour tous. La grande onde de choc des élections est peut-être déjà ressentie par les Juifs libéraux des États-Unis qui sont de plus en plus déçus par Israël et la « solution à deux Etats ». 

 

 

Une liste unique pour défendre les droits des Palestinien·ne·s

 

Ironie du sort, la liste unifiée, qui rassemble les partis ayant toujours représentés les Pales­ti­nien·ne·s, est le produit indirect de la droite israélienne. Avigdor Lieberman, le ministre des Affaires étrangères, qui est ouvertement raciste, a réussi à faire passer une loi élevant le quorum pour entrer à la Knesset, dans le but d’exclure les partis palestiniens disposant chacun de moins de quatre sièges. Confrontés à la menace de l’élimination, et poussés par la population palestinienne fortement favorable à l’unification, les partis ont surmonté leurs désaccords idéologiques et personnels pour arriver à une identité de vues sur la question fondamentale de la défense des droits des Pales­ti­nien·ne·s, tout en convenant de garder des points de vue différents sur d’autres questions particulièrement épineuses comme celles relatives au genre et aux droits des femmes.

Le rôle directeur joué par le parti communiste Hadash dans la nouvelle formation n’est pas moins important. Son secrétaire, Ayman Odeh, avocat de 40 ans né à Haïfa, conduit la liste unifiée. Sous son égide, et grâce à une série d’interventions télévisées dans l’arène politique normalement exclusivement juive, la liste unifiée s’est façonnée en force utopique défendant non seulement les droits des Palesti­nien·ne·s mais aussi ceux de tous les Isra­él­ien·ne·s en cherchant à incarner les vertus démocratiques et civiques qui font défaut à Israël. Odeh exagère sans doute en utilisant Obama comme exemple pour prédire l’avènement d’un premier ministre arabe en Israël d’ici une dizaine d’années, mais son discours de droits civils qui le campe dans le rôle d’anti-Netanyahu en a troublé plus d’un. Judi Nir-Mozes, héritière d’un empire médiatique et épouse de Silvan Shalom, membre du Likoud, a dit d’Odeh : «c’est un homme vraiment dangereux … il donne de lui-même une image à laquelle tout Israélien peut s’identifier»

La liste unifiée n’aura pas la vie facile. Outre la difficulté énorme de maintenir son unité, elle est en butte à une ambiance de plus en plus raciste et violente. De plus, c’est précisément son discours inclusif, démocratique, pacifique et utopique qui suscite les plus fortes craintes chez les Isra­é­lien·ne·s. Cependant, du fait de son existence même, la nouvelle formation met en lumière les dissensions de la société israélienne et offre une vision démocratique qui pourrait, si elle bénéficie de la solidarité internationale, ouvrir la voie pour aller de l’avant. 

 

Gabriel Ash