Swisscovid

Traçabilité made in Switzerland

Contre le Covid-19, une application de traçage des contacts est en développement depuis quelques mois. Elle nous est présentée comme la solution miracle face à une éventuelle nouvelle vague d’infections. Est-ce réellement le cas ?

Deux personnes côte-à-côte avec un smartphone
Swisscovid permet d’enregistrer lorsque deux téléphones se trouvent à moins de deux mètres de distance.

L’OFSP, en collaboration avec des équipes de l’EPFL et l’EPFZ, développe depuis le mois de mars l’application Swisscovid. Une version test est déjà disponible et a été téléchargée par plusieurs dizaines de milliers de personnes. Grâce à l’usage de la technologie Bluetooth, cette application permet d’enregistrer la présence de deux personnes possédant l’application lorsqu’elles se trouvent à moins de deux mètres de distance l’une de l’autre et durant plus de quinze minutes. 

Si une personne est diagnostiquée positive au Covid-19, il sera possible d’envoyer une alerte à toutes les personnes avec qui elle a été en contact durant les dernières semaines. Le stockage de ces données serait décentralisé sur les téléphones des individus. Elles ne seraient pas envoyées sur des serveurs centralisés. De plus, un service d’Amazon assurerait la distribution des clés de cryptage aux utilisateurs·trices. On nous l’assure, le système est sûr et garantit le respect de la vie privée.

Collaboration Google-Apple

Les équipes de Google et Apple, dans une collaboration qualifiée d’« historique », se sont basées sur le travail des équipes des Écoles polytechniques fédérales pour développer une interface de programmation (API). Maillon essentiel pour le fonctionnement de l’application, elle fait le lien entre le système du téléphone, le protocole Bluetooth, et les applications de traçage. 

L’accès au protocole Bluetooth et le détournement de sa fonction initiale pour le traçage de contact sont impossibles sans cet API. « Le fait que Google et Apple aient repris le protocole développé par nos deux Écoles polytechniques fédérales n’est pas rien. C’est même un motif de fierté, car il y avait de nombreux candidats en lice. » se félicite Joël Mesot, président de l’EPFZ (AGEFI, 11 juin 2020). Il sera le premier à télécharger l’application dès qu’elle sera disponible dans sa version finale. 

La rédaction de Tamedia ne cache pas non plus son euphorie : « Des chercheurs de l’EPFL ont réussi à persuader les deux géants du Net d’installer leur solution d’alerte d’exposition au Covid-19 dans des milliards de téléphones. Les enjeux vont bien au-delà de ce que l’on croit. Les coulisses d’un petit miracle » (24 heures, 9 juin 2020). La conception du protocole de sécurité s’est faite au prix de conditions de travail extrêmes. Les équipes de recherche auraient travaillé sept jours sur sept pendant deux mois. L’admiration du journaliste semble totale en dépit de toute réflexion sur le surmenage au travail.

Convaincre et inciter au téléchargement

Dans un article précédent, le même journaliste, à grand renfort d’infographies et d’animations visuelles, nous explique pourquoi le proximity tracing est si important pour la lutte contre le coronavirus. L’application est Made in Switzerland  et, on nous le répète une nouvelle fois, elle est sécurisée et garantit la protection des données. 

Selon Marcel Salathé, épidémiologiste et professeur à l’EPFL : « Il se pourrait même, qu’un jour, le proximity tracing suffise pour garder l’épidémie sous contrôle » (Tribune de Genève, 1er mai 2020). Il y a cependant un mais et pas des moindres : lui-même estime que, pour qu’une telle application soit efficace, il faudrait que 60 % de la population l’installe. Afin d’inciter au téléchargement tous les moyens sont bons. Alain Berset annonce que l’éventuelle perte de gain dûe à la quarantaine des personnes averties de façon anonyme par l’app sera prise en charge. De plus, le Conseil des États a voté pour que le test de dépistage soit gratuit pour les personnes alertées par le biais de Swisscovid (Le Temps, 3 juin 2020). Quid des personnes ne pouvant pas ou ne voulant pas télécharger l’application ?

Un enjeu politique

Les débats sur la surveillance numérique, pour des buts de santé publique et au-delà, sont éminemment politiques. Il est indispensable de questionner le fonctionnement de l’application et de mettre en lumière ses zones d’ombre en dépassant les enjeux purement techniques. De nombreuses incertitudes en termes de protection des données subsistent. Après Swisscovid, quelle sera la prochaine étape ? 

En termes de lutte contre le Covid-19, une telle application risque fortement d’être complétement inefficace. Elle ne peut se substituer à de réelles mesures de santé publique. Nous ne pouvons faire l’économie d’une large campagne de tests systématiques et gratuits. Celle-ci doit s’accompagner d’un suivi précis du nombre de cas au niveau national. L’épidémiologie classique et les enquêtes d’entourage restent encore les solutions les plus efficaces. Or, elles nécessitent un investissement adéquat de moyens pour l’engagement du personnel nécessaire plutôt qu’une solution technique à bas coûts et dont les implications politiques et démocratiques sont largement négligées.

Julien Nagel