Union européenne
Attention aux doigts dans la prise de la libéralisation
Dans le cadre des bilatérales III entre la Suisse et l’UE, un nouvel accord sur l’électricité a été négocié. Il introduit la libéralisation du marché de l’électricité que nous avons toujours combattue. Entretien avec Florian Martenot, représentant de la Ville de Genève au Conseil d’administration des SIG.

Le bénéfice principal de l’accord sur l’électricité, actuellement en consultation, semble être une intégration totale au réseau européen. Qu’est-ce que ça veut dire concrètement?
L’électricité a la particularité de ne pas pouvoir être stockée. Cette forme d’énergie nécessite donc un réseau aussi fourni et aussi étendu que possible afin d’équilibrer au plus juste production et consommation. En 2024 par exemple, la Suisse a consommé 57,5 TWh d’électricité et en a produit 81,1 TWh. Les deux sources les plus importantes étant l’hydroélectrique et le nucléaire. Mais malgré cette balance positive, les distributeurs d’électricité Suisses ont dû vendre, mais aussi acheter, du courant à l’Europe afin de s’adapter aux besoins fluctuants du réseau qui varient suivant les saisons ou les heures de la journée.
L’accord sur l’électricité Suisse-UE garantirait une plus grande stabilité, puisque les capacités de transport disponibles pour l’importation et l’exportation d’électricité (capacités transfrontalières) reposeraient sur une base de droit international contraignante, plutôt que sur des accords de droit privé avec les gestionnaires de réseau de transport des régions voisines, comme c’est le cas actuellement. De plus, la facilité d’accès au marché européen de l’électricité qui découlerait de cet accord, notamment le négoce à très court terme, pourrait amener une baisse des prix estimée à 14%, selon une étude de l’Office Fédéral de l’Énergie (OFEN).
Si l’accord était refusé, en revanche, l’OFEN a envisagé le scénario d’une rupture totale de coopération dont les conséquences seraient une baisse de plus de 60% des capacités d’importation/exportation, ce qui se traduirait par une forte hausse du coût de l’électricité. Ce scénario est évidemment fantaisiste, car le réseau suisse est, de par sa situation géographique, intégré au réseau européen, ce qui rendrait toute rupture de coopération mutuellement préjudiciable.
On se réjouit de la série catastrophe sur Play Suisse. Mais ce qui inquiète, c’est plutôt l’autre aspect de l’accord: la libéralisation du marché. Qu’est-ce qu’implique celle-ci?
L’ouverture complète du marché prévue avec l’accord aurait plusieurs impacts. Tout d’abord, l’approvisionnement «de base», régulé, devrait être redéfini, alors qu’il est actuellement encadré par la nouvelle mouture de la loi suisse sur l’électricité, acceptée par les citoyen·nes suisses l’année dernière (Mantelerlass, dès 2026). Aujourd’hui, cet approvisionnement implique des quotas de production d’origine suisse renouvelable et des exigences de couverture pluriannuelle et ses prix sont moins fluctuants que ceux du marché.
Le principal impact, cependant, serait la fin de l’approvisionnement de base obligatoire pour l’ensemble des consommateur·ices. La proposition du Conseil fédéral est d’obliger les entités qui consomment plus de 50 MWh par an à opter pour le marché libre, qui n’implique aucune contrainte sur l’origine de l’électricité et peut être soumis à de fortes fluctuations des prix.
Aujourd’hui, les entreprises qui consomment beaucoup d’électricité ont déjà le choix de s’approvisionner sur le marché libre. On se souvient que ces entreprises avaient supplié de pouvoir réintégrer le marché régulé lors l’explosion massive des prix en 2022.
En Suisse, un ménage consomme environ 5 MWh par année. Un immeuble comptant plus de 10 ménages pourrait donc être classé dans la catégorie des grands consommateurs…
Les plus petit·es consommateur·ices auraient le choix entre approvisionnement de base et marché libre et pourraient effectuer des allers-retours annuels, voire mensuels contre indemnité. Iels pourraient certes payer, par moment, leur électricité moins cher qu’avec l’approvisionnement de base, mais les prix seraient dépendants du marché, sans garantie de stabilité.
Un autre effet pervers de cette liberté de choix serait la fin des «clients captifs» des distributeurs. Cette rentrée d’argent planifiable leur permet, par exemple, d’engager de gros travaux sur les infrastructures (développement du chauffage à distance, remplacement de centrales de production d’énergie d’origine fossile pour du renouvelable, etc.) Ces investissements sont aujourd’hui plus que nécessaires pour engager une véritable transition énergétique.
Enfin, autre conséquence de cet accord: l’abolition des tarifs minimaux de rachat de l’électricité autoproduite. Cette garantie de prix, qui encourage la pose de panneaux solaires chez les particulier·es, serait interdite.
L’avantage technique semble faire peu de poids face à la libéralisation…
Plus qu’une libéralisation, l’accord sur l’électricité entre la Suisse et l’UE serait un coup de frein à la transition énergétique. solidaritéS devrait combattre ce paquet dans les urnes.
Propos recueillis par Niels Wehrspann