Sale temps pour le personnel du commerce de détail et… pour la démocratie

Coup de théâtre ! Le 15 octobre dernier, l’exécutif genevois suspendait du référendum contre la modification de la loi sur les heures d’ouvertures des magasins (LHOM). Le Parlement national, quant à lui, se prononcera bientôt sur l’ouverture de 12 dimanches par an. Cela au mépris d’une opinion publique largement défavorable au travail dominical. 

Dépôt de la pétition contre le travail du dimanche
Dépôt de la pétition « Pas touche au dimanche », contre un projet d’autoriser 12 ouvertures dominicales par an, Berne, 30 octobre 2025.

Pour justifier la suspension du référendum genevois le Conseil d’État se fondait sur une décision du Tribunal fédéral (TF), qui, répondant à un recours des employeur·ses, estimait que l’exigence d’une Convention collective de travail (CCT) étendue n’était pas conforme au droit fédéral. Ce faisant, le TF ne statuait pas sur le sens ou le bien-fondé d’une telle exigence, il soulignait que le canton n’a pas la compétence de poser cette exigence. Une fois encore le constat s’impose : légalité et légitimité ne font pas toujours bon ménage !

Le 8 octobre la presse publiait la décision du Tribunal fédéral du 4 septembre. Le 15 octobre, à l’orée de la campagne de votation, le Conseil d’État suspendait le référendum dont la votation était prévue pour le 30 novembre. Les tracts d’information et les affiches étaient prêts.  Le matériel officiel de vote – brochure d’information à l’intention des électeur·ices et bulletins de vote – l’était aussi. Résultat : une partie de ce matériel partira au pilon, une autre comportera une partie caduque sur laquelle les électeur·ices seront informé·es par courrier qu’ielles ne doivent pas en tenir compte. Un timing déconcertant, un bel imbroglio électoral !

Un long feuilleton genevois

À Genève, l’élargissement des horaires d’ouverture des magasins est un serpent de mer. Il a déjà fait l’objet de plusieurs votes populaires. En 2016, l’initiative « Touche pas à mes dimanches » est refusée au profit de son contreprojet. L’ouverture dominicale de trois dimanches et du 31 décembre est donc acceptée, à condition qu’elle soit assortie d’une CCT étendue. 

En 2017, les employeur·ses négocient une CCT pour le commerce de détail dans le dos des principaux syndicats du secteur afin de permettre l’ouverture des trois dimanches par année. 2018 : lancement d’un référendum, « Non à la dégradation des conditions de travail des vendeuses et vendeurs ». 2021 : refus des dimanches supplémentaires en votation populaire sans contrepartie négociée avec les partenaires sociaux.

Il en ressort dès lors, sans aucune équivoque, que si le peuple genevois consentait à trois ouvertures le dimanche en plus du 31 décembre, cela n’était concevable qu’à la condition que celles-ci soient assorties d’une convention collective de travail étendue. Or, finalement plutôt que de négocier une CCT étendue, les employeur·ses ont préféré déléguer à leur affidé·es politiques le soin de présenter au Parlement un nouveau projet de loi permettant d’ouvrir deux dimanches en plus du 31 décembre, mais évidemment cela sans convention collective.

C’est contre ce mépris de la volonté populaire et des conditions de travail dans le commerce de détail, déjà dégradées, que plus de 8000 personnes ont signé le référendum suspendu sans égard pour les droits populaires par l’exécutif genevois. À celles-ci s’ajoutent celles qui, en 2016, avaient accepté le contre-projet à l’initiative « Touche pas à mes dimanches » et toutes celles encore qui ont refusé les tentatives systématiques de dérégulation lancées par les patron·nes. Toutes ces voix citoyennes constituent une « masse populaire » dont visiblement l’opinion ne compte pas plus pour le patronat que pour le Conseil d’État. 

Dérégulation à l’échelle nationale

L’offensive sur les heures d’ouverture des magasins à Genève s’inscrit dans un contexte plus large. La Commission fédérale de l’économie et des redevances a traité un projet d’ouverture de 12 (!) dimanches par an. Sa majorité y a consenti. Sa minorité « propose que l’augmentation du nombre d’ouvertures dominicales ne soit possible que si une CCT déclarée de force obligatoire est conclue pour la branche concernée aux niveaux des cantons et de la Confédération ». Dont acte ! Une nouvelle offensive contre laquelle, le 30 octobre dernier, le personnel de vente et les syndicats ont déposé une pétition munie de plus de 9000 signatures. La résistance s’organise, se renforce !

Déréguler les conditions de travail du personnel du commerce de détail, tenter de modifier les habitudes de consommation de la population : voilà les véritables objectifs de ces attaques constantes sur les heures d’ouverture des magasins. Autant de raisons de s’y opposer que de refuser les conséquences néfastes pour la santé du travail dominical, qui nuit au bien-être physique, psychique et social des employé·es.

Le travail du dimanche doit rester limité aux professions « indispensables » à la société. Aussi essentiel que peut être le commerce de détail – on l’a vu durant le confinement covid – l’ouverture des magasins le dimanche n’est ni essentielle, ni indispensable. C’est pourquoi nous combattrons résolument toute velléités d’étendre le travail dominical et toute atteinte aux droits des travailleur·ses. 

Jocelyne Haller